Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
fléchis jusqu'au sol de manière à ce qu'ils s'entrecroisent. On avait relié leur cime à un piquet au moyen d'un c‚ble. Le prisonnier fut amené sous l'arc que formaient les deux troncs et attaché par les chevilles et les poignets à l'extrémité de ces deux montants: il était ainsi suspendu à cinq coudées du sol.
Les Perses et les habitants de Bactres assistaient à ce spec tacle barbare, ainsi qu'un certain nombre de Macédoniens et de Grecs. La princesse Stateira avait quitté Zadrakarta tout exprès. Vengeance était ainsi faite à son père, qu'elle avait enterré et longuement pleuré dans la nécropole royale de Persépolis, désormais abandonnée. Elle était assise à
côté d'Alexandre, immobile et blême.
A un signe des juges suprêmes, les bourreaux s'appro chèrent des c‚bles en brandissant une hache. A un second signe, ils abattirent au même instant leur instrument d'un coup sec. Les deux troncs se redressèrent, la puissante mus culature de Bessos se tendit et son corps fut écartelé. Il y avait encore une ombre de vie dans ses yeux quand les oiseaux de proie, qui planaient éternellement sur ces lieux de supplice, se posèrent pour banqueter.
Alexandre passa l'hiver à Bactres avec Stateira et toute la cour. Aidé
d'Eumène, il écrivit de nombreuses missives aux satrapes de ses provinces: à Antigone, dit le Borgne, qui gou vernait l'Anatolie, à Mazéos en Babylonie, et à Artabaze, en Pamphylie. Il s'enquit de la santé de Phraatès et demanda au vieux satrape si son petit-fils s'était remis de la perte de ses êtres chers, s'il menait une vie sereine dans son palais du bord de mer. Il avait commandé une petite charrette à ses forge rons, qu'il enverrait au jeune Perse, avec deux poulains scythes.
Il reçut une lettre de sa mère Olympias et une missive de Cléop‚tre, qui lui parlait de son existence dans le palais de Boutrotos et lui confiait sa nostalgie:
Les nouvelles de tes aventures me parviennent comme assourdies et déformées par la distance, et il me semble impossible, moi qui suis ta soeur, de ne pouvoir te voir, de ne pouvoir savoir quand tu reviendras, quand tu mettras fin à cette interminable entreprise.
Je souffre de ton absence et de ma solitude. Je t'en prie, permets-moi de te rejoindre afin que je puisse admirer moi-même les merveilles que tu as accomplies, les splen deurs des villes que tu as conquises.
Je te remercie des présents que tu ne cesses de m'en voyer, et dont je suis très fière, mais t'embrasser à nouveau, o˘ que ce soit, dans les étendues glaciales de la Scythie, ou
dans les déserts de la Libye, serait mon plus beau cadeau. Je t'en prie, appelle-moi, Alexandre, et je volerai vers toi en défiant les flots tempétueux de la mer et les vents contraires. Prends soin de toi.
Alexandre dicta à Eumène une réponse affectueuse mais inflexible, et il conclut sa lettre ainsi:
Mon empire n'est pas totalement pacifié, ma douce soeur, et je dois te demander de patienter encore. quand tout sera achevé, je t'inviterai à me rejoindre afin que tu prennes part à notre joie à tous, et que tu puisses assister à la naissance d'un monde nouveau.
Puis il se tourna vers Eumène: " La prose de Cléop‚tre ne cesse de s'améliorer, elle doit recevoir l'enseignement d'un excellent maître de rhétorique.
91~ AL~XANDI~:LeG~ND || LE6CONFNSDU1~10NDE 917
--C'est vrai, admit Eumène. Et pourtant, ces images fleu ries et ces ornements rhétoriques masquent une affectic~n sin cère. Cléop‚tre t'a toujours aimé, elle t'a toujours protégé contre la colère de ton père. Ne te manque-t-elle pas ?
--Terriblement, répondit Alexandre, tout comrne ces années-là. Mais je ne peux m'abandonner aux souvenirs: la t‚che que je me suis fixée occupe mon esprit, comme un impé ratif à qui tout doit être sacrifié, et auquel on ne peut s'échapper.
--Auquel tu ne veux échapper, répliqua Eumène.
--Crois-tu donc que je le pourrais, si je le souhaitais ? Les dieux sèment dans nos coeurs des rêves, des désirs et des aspi rations qui nous dépassent souvent. La grandeur d'un homme correspond à l'écart qui sépare sa visée des forces que la nature lui a données quand elle l'a engendré.
--Bessos en est un exemple parfait.
--Philippe aussi.
--Philippe aussi ", admit Eumène en baissant les yeux.
Ils se turent tous deux, comme si l'ombre du grand roi assas siné
flottait soudain dans ces lieux, tirée du silence et de l'oubli.
Alexandre
Weitere Kostenlose Bücher