Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
Nicomaque. Un objet votif avait alors attiré son regard. C'était ce souvenir, conjugué à ses soupçons, qui l'avait conduit entre ces murs sacrés.
Il atteignit le fond de la nef et passa de l'autre côté, sous le regard de nacre du dieu, assis sur son trône. Il continua son inspection en descendant l'autre nef. Mais il ne parvenait pas à distinguer ce qui e˚t confirmé ses souvenirs fanés. Le sanc tuaire était trop sombre. Il s'empara donc d'une lanterne, fixée à une colonne, et l'approcha du mur. Bientôt, une expression de victoire se peignit sur son visage: il ne s'était pas trompé ! Devant lui s'étalait l'empreinte d'un objet qui avait occupé cette place pendant de nombreuses années.
Après s'être assuré que personne n'épiait ses mouvements, il tira de sa besace la dague celtique qui avait tué le roi Philippe à Aigai. En la posant sur l'empreinte, il s'aperçut qu'elle y correspondait parfaitement.
Il y avait encore deux clous à l'endroit o˘ s'était jadis trouvé le
~nanche de la dague à antennes de papillon, et Aristote put la remettre à
sa place.
" Alors, tu en as terminé, avec tes prières ? s'écria le gardien qui l'attendait à l'extérieur. Il faut que je ferme.
--J'arrive ", répondit le philosophe.
Il sortit rapidement et remercia l'homme.
Il passa la nuit sous le portique, enroulé dans son manteau comme tous les autres pèlerins; mais il dormit peu. L'amphictyonie ! …tait-ce possible ? Possible que le sanctuaire le plus vénérablc du monde grec e˚t provoqué la mort du roi Philippe ? Cette ombre sur le mur n'était peut-être qu'une étrange coÔncidence... et l'envie de donner une solution à l'énigme qui avait défié pendant des années son intelligence l'aveuglait peut-être.
Et pourtant, cette hypothèse était la seule à être étayée par une preuve objective: l'arme qui avait tué le roi provenait du temple ! En fin de compte, l'hypothèse était parfaitement plausible: la plus haute autorité du monde grec oecuménique pouvait-elle être définitivement soumise au bon vouloir d'un seul homme ? Tuer un grand roi au moment o˘
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ALEX~NDRE LE GRAND II LES CONFINS DU MONDE 947
tout le monde, ou presque, était susceptible d'avoir tramé cet assassinat, n'était-ce pas la manifestation d'une intelligence divine ?
La responsabilité d'un tel crime aurait ainsi pesé sur les Athéniens, qui voyaient en lui un oppresseur et l'usurpateur de leur suprématie; sur les rescapés thébains, que le massacre de Chéronée avait remplis de haine à son égard; sur les Perses, qui redoutaient une invasion de l'Asie; sur la reine Olympias qui le haÔssait parce qu'il l'avait humiliée et qu'il lui avait pré féré la très jeune Eurydice; sur le prince Amyntas, enfin, que Philippe avait privé d'une succession légitime. Alexandre lui rnême entrait dans cette liste, qui englobait tout le monde, et donc personne. Sublime. Le mobile justifiait le crime: le pou voir sur l'esprit des hommes, bien plus fort et plus important que n'importe quel pouvoir au monde, semblable au pouvoir des dieux.
Il ne lui restait plus qu'à procéder à une ultime confronta tion: avec l'homme qui avait tué Pausanias et qui, d'après ses informations, travaillait sur des terres appartenant au sanc tuaire.
Il faisait encore nuit quand Aristote se leva. Il installa le b‚t sur son
‚ne et reprit sa route. Il parcourut la voie qui menait à la mer sur environ dix stades, puis il s'engagea sur un sentier muletier qui s'en écartait, menant à un petit plateau aménagé en terrasses pour la culture-de la vigne.
Voilà, l'homme qu'il cherchait devait vivre dans cette mai son basse au toit de tuiles et précédée d'un petit portique soutenu par des colonnes d'olivier, non loin d'un chêne cente naire.
Il pénétra dans l'aire, o˘ quelques cochons grognaient en mangeant des glands au pied du chêne. Il demanda: " Y a-t-il quelqu'un? Hé, y a-t-il quelqu'un? " Pas de réponse. Il mit pied à terre et frappa à la porte, qui s'ouvrit. Un rayon de lumière éclaira alors la pièce.
C'était lui. Il pendait à une corde attachée aux poutres du plafond.
Aristote recula avec effroi, il rejoignit son ‚ne et le talonna, s'éloignant le plus rapidement possible.
De retour à Athènes, il refusa pendant quelques jours de recevoir qui que ce soit. Il détruisit ses notes et les copies des lettres qu'il avait envoyées à son neveu à ce sujet. Il ne laissa que des réflexions vagues et
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