Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
que je ne voulais pas avoir l'air de me croiser les bras." Ce~ épisode vous en dit assez long sur l'homme. Songe que le seul objet qu'il possédait était une écuelle pour puiser de l'eau à la fontaine; mais un jour, il vit un enfant qui buvait dans ses mains et il jeta aussi son écuelle. As-tu vrai ment envie de le connaître ?
--Oui, s'il te plaît, répondit Alexandre.
--Si tu y tiens vraiment, soupira Callisthène avec un air de suffisance.
Le spectacle ne sera pas des plus agréables. Tu n'es pas sans savoir pourquoi Diogène et ses disciples sont quali fiés de "cyniques", n'est-ce pas ? A les entendre, tout ce qui est naturel n'a rien d'obscène. Voilà
pourquoi ils font tout en public, comme les chiens.
--C'est vrai, confirma leur guide. Venez, il habite, si je peux m'exprimer ainsi, non loin d'ici. On le trouve au bord de la route, o˘ il peut recevoir facilement les oboles des pas sants. "
Ils cheminèrent un moment le long de la route qui menait de la " traction navale " au sanctuaire de Poséidon. Alexandre fut le premier à le remarquer, de loin.
C'était un vieil d'homme d'environ soixante-dix ans complètement nu; il était adossé à une grande jarre de terré cuite, à l'intérieur de laquelle on pouvait apercevoir une pail lasse et une couverture en lambeaux. La niche de Péritas, son gea Alexandre, était certainement beaucoup plus confortable. Un petit chien b‚tard était assis à ses côtés. Il mangeait proba blement dans la même écuelle que lui et partageait sa couche.
Les bras sur les genoux et la tête renversée contre son misé rable taudis, Diogène réchauffait ses membres plissés au der nier soleil de l'été. Il était presque entièrement chauve, mais les cheveux qui poussaient sur sa nuque lui tombaient jus qu'au milieu du dos. Il avait un visage émacié, sillonné de nombreuses rides et bordé par une petite barbe chétive, des pommettes saillantes et des cernes profonds, un front large et d'une certaine façon lumineux.
Il était totalement immobile, les yeux fermés.
Alexandre s'arrêta devant lui et le contempla un lo~g moment en silence.
Aucun signe ne montrait que 1 homme avait remarqué sa présence.
Le jeune prince se demandait quelles pensées se pressaient sous ce large front, dans ce cr‚ne puissant, pos~ sur ce corps frêle et chétif. quelle raison l'avait amené, après une vie de recherches sur l'esprit de l'homme, à vivre dans la nudité et la pauvreté le long de la rue, objet des rires et de la compassion des passants ?
Il était ému par cette pauvreté orgueilleuse, par cette sim plicité
totale, par ce corps qui souhaitait que la mort le trouve dépouillé de tout, comme à la naissance.
Il aurait voulu qu'Aristote soit là, près de lui; il aurait voulu voir ces deux esprits s'affronter au soleil, pareils à des cham pions munis d'une lance et d'une épée, et il aurait voulu lui dire combien il l'admirait. Mais il prononça une phrase mal heureuse.
" Salut à toi, Diogène. Tu as devant toi Alexandre de Macédoine. Demande-moi ce que tu désires et je serai heureux de te l'offrir. "
Le vieil homme ouvrit sa bouche édentée: " N'importe quoi ? interrogea-t-il d'une petite voix stridente, les paupières toujours baissées.
--N'importe quoi, répéta Alexandre.
--Alors, écarte-toi un peu de mon soleil. "
Alexandre se déplaça et s'assit sur le côté, à ses pieds, comme un postulant. Il lança à Callistkène: " Laissez-nous seuls. J'ignore s'il me dira autre chose, mais s'il le fait, ses mots ne pourront pas être écrits, mon ami. " Callisthène vit qu'il avait les yeux luisants. " Tu as peut-être raison, poursui vit le prince. Tout cela n'est peut-être qu'un gaspillage, un peu comme si l'on br˚lait du bois pour en vendre la cendre, mais je donnerais n'importe quoi pour savoir ce qui se passe der rière ces paupières closes. Et crois-moi, si je n'étais pas celui que je suis, si je n'étais pas Alexandre, je voudrais être Diogène. "
Personne ne sut ce qu'ils se dirent, mais cette rencontre se grava à
jamais dans l'esprit d'Alexandre, et peut-être aussi dans celui de Diogène.
Deux jours plus tard, Philippe et sa suite reprirent la route du nord en direction de la Macédoine, et le prince partit avec eux.
De retour à Pella, le souverain se consacra aux préparatifs de sa grande expédition en Orient. Chaque jour, ou presque, il réunissait un conseil de guerre, auquel participaient les géné raux, Attale, Cleitos
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