Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
chaos de formes et de sons, Olympias s'était brusquement immobilisée, comme la statue de Dionysos, sem blable à une divinité
nocturne. Des hommes nus et masqués rampèrent alors vers elle.
A la fois excité et troublé par cette scène, Alexandre avait mis la main à son épée. Il fut soudain frappé de stupeur et s'adossa au tronc de l'arbre sous lequel il se cachait. Sor tant de terre, un énorme serpent avançait vers la statue du dieu puis s'enroulait lentement autour des jambes de sa mère.
Olympias ne bougeait pas, ses membres étaient raides et ses yeux fixaient le vide: on aurait dit qu'elle n'entendait ni ne voyait. Un deuxième serpent jaillit du sous-sol, deux autres le suivirent et rejoignirent le premier autour des jambes de la reine.
Le plus grand, le premier, s'éleva au-dessus des autres et enveloppa dans ses anneaux le corps entier d'Olympias jus qu'à dresser sa tête au-dessus de la sienne.
La musique frénétique avait soudain cessé, les silhouettes masquées avaient reculé à l'orée de la clairière, soumises et presque effrayées par cet événement surnaturel. Puis le ser pent ouvrit la gueule, tira sa langue fine et fourchue avant d'émettre un son identique à celui qu'Olympias avait produit sur sa fl˚te: une note intense, fluide, aussi sombre et frémis sante que la voix du vent parmi les chênes.
Les lanternes s'éteignirent peu à peu, et Alexandre ne vit plus, sous la clarté de la lune, que les écailles des reptiles qui scintillaient dans la pénombre avant de s'évanouir. Il soupira profondément et essuya son front ruisselant de sueur froide. quand il posa de nouveau son regard sur le petit sanctuaire en ruine, la clairière était totalement vide et silencieuse, comme si rien ne s'y était produit.
C'est alors qu'il sentit qu'on lui touchait l'épaule. D'un bond, il se retourna, l'épée au poing.
" C'est moi, mon fils, dit Olympias en l'observant d'un air surpris. Je me suis réveillée et j'ai vu que tu n'étais plus là. que fais-tu en ces lieux ? "
Le jeune homme tendit la main vers elle: il ne semblait pas croire ce qu'il voyait.
" Mais qu'as-tu ? ", demanda de nouveau la reine.
Alexandre secoua la tête comme s'il voulait s'arracher à un rêve ou à un cauchemar, et croisa les yeux de sa mère, plus noirs et plus profonds que la nuit.
" Rien, répondit-il. Retournons au bivouac. "
quand ils se levèrent, le lendemain, le soleil faisait briller l'eau de la source. Ils reprirent sans un mot la route vers l'ouest. Ni l'un ni l'autre n'osait prendre la parole.
Brusquement, Alexandre se tourna vers sa mère. " D'étranges bruits circulent sur ton compte, observa-t-il.
--Lesquels ? lui demanda Olympias, les yeux rivés sur la route.
--On dit... On dit que tu participes aux rituels secrets et aux orgies nocturnes de Dionysos. On dit aussi que tu pos sèdes des pouvoirs magiques.
--Et tu le crois ?
--Je ne sais pas. >~
Olympias s'abstint de répliquer et ils chevauchèrent lon guement au pas, en silence.
" Je t'ai vue, cette nuit, reprit Alexandre.
--qu'as-tuvu?
--Je t'ai vu déchaîner une orgie par le son de ta fl˚te et faire jaillir les serpents de la terre. "
Olympias se retourna et le tr~ansperça de son regard froid, ~pareil à la lumière que reflétaient les yeux du serpent apparu au cours de la nuit.
" Tu as donné chair à mes rêves et tu as suivi mon esprit dans les bois: un simulacre aussi vain que les ombres des rnorts. Car tu m'appartiens et tu participes d'une force divine.
--Ce n'était pas un rêve, affirma Alexandre. Je suis certain de ce que j'ai vu.
--Il existe des lieux et des moments o˘ le rêve et la réalité
se confondent; il existe des êtres qui peuvent franchir les confins de la réalité et traverser des régions habitées par le mystère. Un jour, tu m'abandonneras et il me faudra alors quitter mon corps et voler dans la nuit jusqu'à toi pour te voir, j entendre ta voix et ton souffle, être à
tes côtés quand tu auras ' besoin de moi, à n'importe quel instant. "
Ils se turent jusqu'à ce que le soleil ait achevé sa course dans le ciel et qu'ils aient atteint la route de Béroée. C'est là qu'Héphestion les rejoignit. Alexandre mit pied à terre et se préciE)ita vers lui.
" Comment as-tu réussi à nous retrouver ? lui demanda-t-il
--Ton Bucéphale laisse des empreintes de taureau sau vage. Cela n'a pas été difficile.
--que me racontes-tu de neuf ?
--Pas grand-chose. Je t'ai rapidement emboîté le
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