Alias Caracalla
ont tirés du
génie même de notre race et qui sont l’enjeu formidable de cette guerre pour la vie ou la mort.
Nous disons : « Libération », et nous disons cela
dans la plus large acception du terme, car si l’effort
ne doit pas se terminer avant la défaite et le châtiment de l’ennemi, il est d’autre part nécessaire
qu’il ait comme aboutissement, pour chacun desFrançais, une condition telle qu’il lui soit possible
de vivre, de penser, de travailler, d’agir, dans la
dignité et dans la sécurité. Voilà l’article 3 de notre
politique. La route que le devoir nous impose est
longue et dure. Mais peut-être le drame de la
guerre est-il à son point culminant ?
En une heure de discours, de Gaulle a défini notre
raison d’être et nos objectifs politiques. Cela mérite
réflexion parce que la France, c’est nous.
Lundi 17 novembre 1941
Le capitaine * Georges 5
France publie intégralement le discours d’hier,
nous donnant l’occasion de l’étudier à loisir.
Au mess des officiers, une discussion passionnée
s’engage. La présence du capitaine * Georges n’y est
pas étrangère : il fait partie de la 1 re compagnie de
parachutistes et, depuis quelques jours, est parmi
nous pour se remettre d’un accident qui a failli lui
coûter la vie : son parachute s’est ouvert à moitié, et
il est tombé sur la tête.
Il lui en reste des séquelles, qui se manifestent par
un regard étrangement fixe, accompagné parfois
d’un silence sidéral. Il se lève alors brusquement de
table et arpente la salle à manger pour s’arrêter soudain face au mur opposé. Il le scrute minutieusement comme s’il y déchiffrait un secret. Puis, apaisé,
il revient s’asseoir, comme si de rien n’était, et nous
captive par sa conversation brillante.
Il doit avoir une quarantaine d’années — la
vieillesse commence pour nous aux alentours de
25 ans, l’âge de nos capitaines ! — et est auréolé d’un
prestige de combattant. Nous ignorons son passé
civil, mais ses propos révèlent une connaissance du
Tout-Paris littéraire et politique, sur lequel il est intarissable. Nous l’aimons d’autant plus qu’il n’a jamais
excipé de son grade ou de son âge pour imposer des
idées qu’il défend avec passion et loyauté.
Il ne nous a pas accompagnés à Londres, mais à
la seule lecture du discours, il montre une compréhension de la pensée du Général bien supérieure à
la nôtre.
La discussion porte sur deux points essentiels : la
condamnation de la III e République et le rétablissement de la démocratie. J’ai dit et redit que, depuis
plus d’un an, le premier point est parmi nous un
leitmotiv unanime. Quant au second, le général
de Gaulle enjambe pour la première fois les buts
de guerre pour proclamer « nos » buts de paix. Ne
nous engage-t-il pas au-delà de notre volonté ?
La discussion s’enflamme brusquement. Le capitaine * Georges estime que, si la III e République
comportait des « dysfonctionnements », la catastrophe finale n’est pas imputable aux politiques, mais
aux militaires, bousculés piteusement sur le champ
de bataille.
Nous sommes globalement d’accord avec cet argument, exposé par de Gaulle dès juin 1940, mais
nous refusons d’exonérer les politiques de leur responsabilité, spécialement ceux du Front populaire,
les vrais coupables. Nous les condamnons sans
appel, réclamant un procès avec mise à mort dès la
Libération. La demi-douzaine d’aspirants que nous
sommes le répètent en chœur.
C’est alors que le capitaine *Georges expose « son »
histoire de la III e République, qui nous laisse bouche bée. La connaissance qu’il en a est sans commune
mesure avec la nôtre.
Chacun s’exprime à son tour. Après avoir écouté
ma diatribe contre la République et mes arguments
en faveur d’un « régime fort », le capitaine change
de ton : « Il me semble, mon cher Cordier, qu’il y a
quelque contradiction dans votre argumentation.
Pour juger de Gaulle, la République et Vichy, il faut
partir de l’armistice. Nous avons choisi la seule voie
compatible avec le patriotisme en rejoignant le camp
de la lutte à outrance. Ce sera l’honneur de notre
vie. »
En dépit de la distance qui nous sépare, je remarque combien nous sommes attentifs aux paroles du
capitaine. Même Seeds, qui s’abstient d’intervenir
dans les problèmes franco-français, écoute : « Je suis
frappé que vous
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