Alias Caracalla
l’association des
Français de Grande-Bretagne, qui, depuis l’armistice, s’est ralliée au général de Gaulle. Je découvre à
cette occasion l’immense rotonde utilisée comme
salle de concerts. Construite par la reine Victoria en
bordure de Hyde Park, elle ressemble aux cirques
antiques.
Nous sommes placés à l’écart de nos camarades,
sur les gradins supérieurs, parmi les civils appartenant à l’association. Le parterre est occupé par les
délégations de l’infanterie, de la marine et de l’aviation. La tribune foisonne de drapeaux tricolores.
Sous les projecteurs, de Gaulle fait son entrée,
entouré des membres du CNF. Pourquoi nous a-t-il
invités ? Sa réponse fuse dès les premiers mots :
Ce que nous sommes ? Nous sommes des
Français de toute origine, de toute condition, de
toute opinion, qui avons décidé de nous unir
dans la lutte pour la liberté du pays. […]
Il est plaisant d’observer que les Français
libres sont jugés, le même jour, à la même heure,
comme inclinant vers le fascisme, préparant la restauration d’une monarchie constitutionnelle, poursuivant le rétablissement intégral de la République
parlementaire, visant à remettre au pouvoir les
hommes politiques d’avant-guerre, spécialement
ceux qui sont de race juive ou d’obédience maçonnique, ou enfin poussant au triomphe de la doctrine communiste. Quant à notre action extérieure,
nous entendons les mêmes voix déclarer, suivant
l’occasion, ou que nous sommes des anglophobes
dressés contre la Grande-Bretagne, ou que noustravaillons de connivence avec Vichy, ou que nous
nous fixons pour règle de livrer à l’Angleterre les
territoires de l’Empire français à mesure qu’ils se
rallient.
Je mesure en l’écoutant mon ignorance des
calomnies de nos adversaires. Bien qu’elles soient
mensongères, le Général juge bon d’y répondre.
Indirectement, il répond également à nos vœux en
précisant la doctrine de la France libre, autrement
dit les raisons de notre combat :
L’article 1 er de notre politique consiste à faire
la guerre, c’est-à-dire à donner la plus grande extension et la plus grande puissance possible à l’effort
français dans le conflit. […] Sa grandeur est la
condition sine qua non de la paix du monde. Il
n’y aurait pas de justice si justice n’était pas rendue à la France. […]
Si l’on a pu dire que cette guerre est une révolution, cela est vrai pour la France plus que pour
tout autre peuple. Une nation qui paye si cher les
fautes de son régime politique, social, moral, et
la défaillance ou la félonie de tant de chefs, une
nation qui subit si cruellement les efforts de désagrégation physique et morale que déploient contre
elle l’ennemi et ses collaborateurs, une nation
dont les hommes, les femmes, les enfants, sont
affamés, mal vêtus, mal chauffés, dont deux millions de jeunes gens sont tenus captifs pendant
des mois et des années dans des baraques de prisonniers, des camps de concentration, des bagnes
ou des cachots, une nation à qui ne sont offertes,
comme solution et comme espérance, que le travail forcé pour le compte de l’ennemi, le combatentre ses propres enfants et ses fidèles alliés, le
repentir d’avoir osé se dresser face aux frénésies
conquérantes de Hitler, et le rite des prosternations devant l’image du Père la Défaite, il serait
puéril d’imaginer, dis-je, que cette nation soit autre
chose qu’un foyer couvant sous la cendre. Il n’y
a pas le moindre doute que de la crise terrible
qu’elle traverse sortira, pour la nation française,
un vaste renouvellement.
En entendant la précision avec laquelle de Gaulle
condamne le passé républicain aussi bien que le
présent de Vichy et décrit l’avenir, j’ai l’impression
d’assister à la naissance d’un chef. Ce jour-là, il
apporte les réponses que nous avons été incapables
d’imaginer, mais vers lesquelles nous tendons passionnément :
Quant aux bases de l’édifice futur des institutions françaises, nous prétendons pouvoir les définir par conjonction des trois devises qui sont celles
des Français libres. Nous disons : « Honneur et
patrie », entendant par là que la nation ne pourra
revivre que dans l’air de la victoire et ne subsister
que dans le culte de sa propre grandeur. Nous
disons : « Liberté, égalité, fraternité », parce que
notre volonté est de demeurer fidèles aux principes démocratiques que nos ancêtres
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