Alias Caracalla
Égal à lui-même,
il est serein. Sans nous concerter, nous demeurons
silencieux — et sur nos gardes. Nous attendons
longtemps.
Lorsque * Claudine paraît enfin, nous rejoignons
ensemble la porte d’entrée au moment même où une
dame arrive. Elle nous fait entrer prestement. C’est
la propriétaire : petite, dodue, vêtue d’un tailleur
prince-de-galles ; sa veste trop longue recouvre presque entièrement une jupe trop courte. Je suis
étonné par cette silhouette ridicule. À son bras, elle
porte un sac à main d’une grandeur inusitée, ressemblant à un sac de voyage ; sans doute la nouvelle
mode.
Elle nous offre sa chambre, tout aussi rutilante
que la première. Comme chez nos hôtes précédents,
les patins sont de rigueur. Fanfreluches, poupées et
bibelots ornent le lit et les murs. Ici, l’unique fenêtre donne sur une cour intérieure. La dame nous
recommande de ne pas ouvrir les volets, de ne pas
quitter la chambre, de ne faire aucun bruit et, surtout, de ne pas répondre à la sonnette de la porte
d’entrée. Bien qu’elle s’efforce de paraître aimable,
elle est visiblement terrorisée.
Elle sort faire quelques emplettes puis nous prépare
un repas frugal, qu’elle partage avec nous. Elle parle
peu et garde quelque chose de pincé. Quel contraste
avec l’accueil bon enfant et plein de considération
du couple de Montluçon !
Après avoir placé nos postes émetteurs sous le lit
et nos revolvers sur la table de nuit, nous nous couchons tôt.
Mardi 28 juillet 1942
Séquestrés à Lyon
Avant de partir à son travail, ce matin, non sans
nous avoir renouvelé ses recommandations, notre
dame nous a préparé un repas froid pour le déjeuner.
Dans l’après-midi, quelqu’un sonne. Décidés à
nous défendre, nous saisissons nos revolvers. Derrière
la porte, une voix fluette dit tout bas : « Ouvrez,
c’est * Claudine. » Bien qu’il me semble la reconnaître, nous ne bougeons pas, craignant un piège.
Après un long moment, les pas s’éloignent. Quand
elle revient dans la soirée en compagnie de notre
hôtesse, elle nous confirme que c’était elle. Malgré
sa déception de ne pas nous avoir rencontrés, nous
sommes satisfaits qu’elle ait pu constater que nous
respections la consigne.
Le plus important est le rendez-vous avec Paul
Schmidt qu’elle nous transmet, fixé à demain matin
sur la grande place à côté de l’appartement.
Mercredi 29 juillet 1942
Premier déménagement
Il fait déjà très chaud, en fin de matinée, lorsque
je me risque hors de l’appartement. De nouveau, je
suis saisi par l’inquiétude d’être épié de tous côtés.
Aussi suis-je rassuré de voir Schmidt arriver du pas
rapide qui m’est familier. Il fait fonction auprès de
*Rex d’officier deliaison 5 avec Libération, un des
grands mouvements de la zone libre.
Il m’aborde avec sa gentillesse coutumière et
me fixe de ses yeux bleus, naïfs et chaleureux :
« Comment trouvez-vous votre hébergement ?
— Parfait, mais il me tarde d’agir. Pourquoi
cette réclusion forcée : le danger est-il si grand que
nous ne puissions nous promener, acheter les
journaux ?
— Votre hôtesse est alsacienne. Elle est volontaire pour vous accueillir, mais est terrorisée par
votre présence. Les gens n’ont pas l’habitude. Elle
est la seule parmi les résistants qui ait accepté de
vous héberger. »
Sans transition, il annonce le coup d’envoi de ma
mission : « * Rex veut te voir. Rendez-vous demain,
à 2 heures de l’après-midi, place Bellecour, sous la
queue.
— La queue ?
— Au milieu de la place, la statue équestre de
Louis XIV, la queue du cheval. »
Schmidt ignore l’identité de * Rex. Il sait seulement,
comme moi, qu’il est le représentant du général de
Gaulle en France et le chef des agents du BCRA.
Avant de nous quitter, il ajoute : « Vous déménagez cet après-midi. * Claudine vous conduira chez un
couple de Parisiens qui vous hébergera pour quelques jours. »
Je rentre rejoindre Briant à l’appartement et lui
annonce notre prochain départ, puis saisis un livre
sur une étagère : Le Blé en herbe , de Colette, dont je
n’ai jamais rien lu. Le récit m’intéresse à cause de
l’âge des protagonistes. Loin du danger, je m’évade
dans l’univers enseveli de mon adolescence.
J’ai presque fini le roman lorsqu’un coup de sonnette m’avertit de l’arrivée de * Claudine.
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