Alias Caracalla
trouver mieux
pour s’évader.
Mme Moret nous prie d’accepter de dîner avec
sa famille. C’est une aubaine, car nous aurions été
en peine de trouver un restaurant dans ce quartier
inconnu. En outre, nous n’aurions pas su utiliser nos
tickets d’alimentation, suscitant peut-être la méfiance
des serveurs ou des clients.
Les Moret ont la nostalgie de Paris et de leur vaste
appartement, boulevard Malesherbes, qu’ils évoquent
à tout propos. Suzette, leur fille, suit des cours de
décoration. De temps à autre, elle fait allusion à des
camarades parisiens qu’elle a retrouvés à Lyon, et
avec lesquels elle sort ou organise des surprises-parties. Je constate que depuis mon départ, en 1940,
la vie des jeunes de mon âge n’a guère changé.
Tandis qu’elle parle avec animation de son existence, j’observe ses traits réguliers, empreints d’une
séduction qu’avive un regard décidé. Grande, au
corps harmonieux, à l’image de sa mère, elle ne
paraît pas avoir plus de vingt ans.
Après dîner, nos hôtes se retirent, et nous nous
couchons rapidement. En dépit de la gêne que nous
éprouvons d’avoir chassé la belle Suzette de son lit,
nous nous endormons avant même de nous souhaiter bonne nuit.
Jeudi 30 juillet 1942
*Rex, cet inconnu 6
En attendant la présentation à *Rex, j’ai hâte de
visiter la ville et de reconnaître mon « champ de
bataille ».
Avant le rendez-vous, je dois retourner rue
Philippeville afin de prendre le courrier et l’argent.
Mme Moret me confie une clef et nous indique le
numéro du tramway qui conduit aux quais puis au
centre-ville. Nous sommes à quelques minutes de la
place Bellecour. Dans le tram, j’observe les passagers : employés rejoignant leur travail, ménagères
allant faire leurs courses. Lyon, avec ses grands
immeubles et ses rues rectilignes, coupées de vastes
places, ne manque pas de noblesse.
Abandonnant le tram à hauteur de l’Opéra, nousdéambulons dans les rues de la République et de
l’Hôtel-de-Ville, que les Moret nous ont indiquées
comme les principales artères commerçantes. Effectivement, la foule encombre les trottoirs. Je regarde
avec curiosité les passants et les consommateurs
aux terrasses des cafés. Les visages fermés, souvent
renfrognés, le manque d’exubérance, la retenue
générale, la tristesse des vêtements sont-ils dus à
la défaite, aux restrictions ou au caractère des
habitants ? Les railleries de M. Moret à l’égard des
Lyonnais rendent crédible cette dernière hypothèse.
Bien que nous soyons en été, le gris et le noir
dominent, imprimant à la foule une allure terne. Le
contraste avec Londres est total : comment rivaliser
avec une foule de soldats de vingt ans représentant
tous les pays d’Europe, gonflés par l’espérance de la
victoire ?
Il est midi. Schmidt nous a indiqué un restaurant
dans une petite rue jouxtant la place de la République.
Nous nous installons dans une grande salle triste,
aux proportions ingrates, d’autant plus misérable
que je la compare avec le restaurant cossu de mon
dernier dîner, il y a trois jours, à Cambridge. Après
avoir composé notre repas sur un menu ne comportant que des légumes, nous passons la commande
et posons notre fausse feuille d’alimentation à côté
de nos assiettes. Le garçon y découpe sans sourciller les tickets correspondants. Je suis maintenant
certain que nos faux papiers font l’affaire !
En dépit de cette victoire, il nous faut en rabattre
lorsqu’il nous sert les plats : légumes et fruits sont
immangeables, et le pain est encore plus visqueux
que celui de Montluçon. Je comprends sur l’instant
ce que les repas raffinés offerts par nos hôtes leur
ont coûté de sacrifices. Après ce triste déjeuner, lepire de mon existence, un doute m’envahit : Ai-je
mal interprété les renseignements de Schmidt ? Ne
nous sommes-nous pas égarés dans une infecte gargote ?
Nous décidons de prendre notre café à une terrasse non loin de là. Le breuvage amer qu’on nous
sert ressemble à ceux que nous avons bus partout
depuis notre arrivée. Du moins sommes-nous à l’air
libre, entourés de l’animation de la foule. La place
offre une perspective de la rue de la République à la
place Bellecour.
Afin de ne pas être en retard, j’abandonne Briant
et lui donne rendez-vous aux environs de 4 heures,
au même endroit. Au cas où je serais retardé, nous
convenons de nous retrouver le
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