Alias Caracalla
l’autobus. »
Laissant ces inconnus, Bianchi, Marmissolle, Roy
et moi-même passons à la permanence prendre nos
bagages. Mon beau-père nous y attend. « Je suis venu
chercher vos valises. Je les apporterai au garage. »
À 9 heures un quart, nous déambulons tous les
quatre aux alentours du monument aux morts. Dans
cette partie de l’esplanade bordée de platanes centenaires, la pénombre gagne. J’attends la nuit avec
impatience. Quelques garçons munis de sacs de
montagne ou de valises rôdent aux alentours.
À l’heure dite, nous sommes plus d’une centaine,
rassemblés sans bruit. Quel contraste avec le brouhaha de la mairie ! À haute voix, j’annonce : « Nous
allons nous recueillir pour honorer les morts de
cette guerre, afin que leur sacrifice ne soit pas inutile. Après la minute de silence, dispersez-vous et
suivez-moi individuellement ou par petits groupes.
Je vous conduirai au lieu de départ. »
Après nous être recueillis, nous partons, Marmissolle, Roy et moi en tête, suivis des garçons en groupes espacés. Nous descendons jusqu’à la rue d’Étigny
et rejoignons la cour du garage des TPR. Au fond,
les autobus sont rangés sous les hangars. Mon beau-père nous attend, entouré de quelques chauffeurs.
Il s’approche de moi : « Montez vite, en silence. »
Rapidement, quatre autobus sont remplis. Lorsque le premier véhicule met en marche, le bruit me
semble si effrayant que je crains que la ville entière
ne soit alertée. Lentement, le car traverse la cour, sort
sur la chaussée, puis tourne à droite en direction de
Bayonne. Nous roulons au pas. Dans le rétroviseur,
j’aperçois le second autobus qui nous suit. Soudain,
à cent mètres devant nous, un officier casqué balaye
la nuit de sa torche électrique. Derrière lui, quelques
hommes en ligne, genoux à terre, nous mettent en
joue. L’un deux, allongé sur le sol, pointe son fusil-mitrailleur dans notre direction.
« Stop ! » crie mon beau-père, tandis que l’officier
se dirige vers nous : « Il est interdit de circuler entre
10 heures du soir et 5 heures du matin. Demi-tour. »
Mon beau-père essaye de parlementer : « D’abord, il
n’est pas encore 10 heures. Ensuite, l’arrêté préfectoral concerne les voitures particulières, pas les lignes
régulières d’autobus. C’est un convoi supplémentaire pour Bayonne. Le maire l’a autorisé.
— Ce n’est pas le maire qui commande à Pau. C’est
le colonel Pellier. Si vous avez un laissez-passer,
montrez-le. Sinon, rentrez au garage ou je donne
l’ordre de tirer. »
J’ai pensé à tout sauf au rendez-vous trop tardif
que nous avons fixé et qui nous a mis à la merci de
l’interdiction. Effectivement, il n’est pas encore
10 heures. Strictement, nous aurions le droit de passer. Si nous étions dans la campagne, nous pourrions
prendre les petites routes détournées que nous
connaissons, mais ici, en ville, nous sommes piégés : les soldats nous raccompagnent à l’entrée dugarage. Les deux autobus reculent dans la cour et
nous commençons à descendre.
J’enrage à l’idée qu’une douzaine de militaires
défaitistes, parce qu’ils ont des fusils, tiennent en
échec plus d’une centaine de jeunes patriotes.
Que faire des volontaires rassemblés ? Pour la
plupart, il leur est impossible de rentrer chez eux.
Mon beau-père me prend à part : « Ne t’inquiète pas,
on va trouver une solution. Il faut garder la liaison
avec tes camarades. Fais passer le mot d’ordre : marcher individuellement le long de la route de Bordeaux.
Dès que nous aurons trouvé une solution, nous passerons en voiture pour leur fixer le lieu d’un nouveau
rendez-vous. » En silence, les uns après les autres,
les garçons quittent le garage comme des ombres.
Après avoir fermé les portails, nous restons
quelques-uns autour de mon beau-père. D’autres garçons demeurent à l’intérieur des autobus. Peut-être
n’ont-ils pas entendu la consigne ? Je m’approche.
L’un d’eux me dit : « J’ai entendu, mais je ne retourne
pas chez moi. Je n’ai pas prévenu ma mère, et elle ne
me laissera jamais repartir demain. »
Un gros garçon jovial me déclare avec aplomb :
« De toute manière, cet autobus partira demain pour
son service, et j’irai avec lui.
— Vous serez bien avancés si vous vous retrouvez
à Lourdes. » Sans se démonter, il me répond presque insolemment : « Vous inquiétez pas, je
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