Alias Caracalla
également pour
Ballère et Laborde, qui travaillent aux TPR. Le maire
de Pau a recommandé le fils d’un de ses amis de
Nantes, Marcel Gouillard. Cela fait sept. Nous devons
sélectionner un nom supplémentaire et éliminer les
neuf autres. Après avoir parcouru de nouveau la
liste, mon beau-père avise le dernier nom inscrit :
Christian Berntsen. Il met le doigt dessus : « Celui-là
doit partir. » Nous l’ajoutons.
Il n’est pas loin de 1 heure lorsque nous retournons au Perroquet . Dans la voiture, je m’inquiète :
« Qu’allons-nous faire des autres ?
— T’en fais pas, on va essayer de les faire partir.
— Le capitaine a dit non.
— Il y a non et non. »
Au Perroquet , mes seize camarades et moi ne formons plus qu’un groupe qui discute avec animation.
« J’ai trouvé un bateau, annonce mon beau-père.
Je vais vous y conduire en voiture. Nous ferons plusieurs voyages. Vous m’attendrez là-bas avant demonter à bord. » Il ne souffle mot de la liste. Les cinq
premiers s’installent dans la voiture. Une heure plus
tard, nous sommes tous au pied de la passerelle.
Le capitaine a disparu. « Attendez-moi, je reviens. »
Mon beau-père monte seul à bord, conduit par un
marin sur la dunette. Je le vois entrer dans la cabine
du capitaine. Le temps passe. Ce dernier a-t-il changé
d’avis ? Refuse-t-il de nous embarquer ?
Après une longue attente, mon beau-père, le visage
toujours impassible, apparaît suivi du capitaine. Ce
dernier l’accompagne jusqu’à la passerelle et le
laisse descendre seul. Un lourd silence l’accueille.
Je n’ai rien dit des premières tractations, mais chacun se doute qu’il y a des difficultés.
Mon beau-père annonce simplement : « Prenez
vos cartes d’identité à la main, et montez un par un.
Quand vous serez installés, j’aurai besoin de quatre
d’entre vous pour acheter des provisions. » Sur le
pont, en haut de la passerelle, le capitaine aidé d’un
matelot contrôle les noms des garçons qu’il coche
sur la liste.
Je monte en dernier avec ma valise. Mes camarades ont déjà disparu dans la cale. Quand j’y descends
à mon tour, je découvre qu’elle est remplie de maïs :
le cargo fait la navette entre l’Amérique du Sud et
Anvers, son port d’attache.
Lorsqu’il arriva à Anvers, le mois précédent, pour
décharger sa cargaison, les Allemands avaient pris
la ville. Sans accoster, le capitaine repartit pour
Le Havre, puis Brest et Bordeaux : à peine accostait-il
dans un port que la capitainerie lui annonçait l’arrivée des Allemands.
Avant de redescendre à terre, je cherche Marmissolle et Roy et fais signe aux deux garçons qui nous
ont parlé hier sur la promenade des Anglais, le« finaud » béarnais Jacques Cullier de Labadie et
Joseph Laborde.
Mon beau-père a calculé trois jours de vivres. Nous
connaissons tous Bayonne et nous rendons directement aux halles. Le marché est terminé, mais les
magasins sont encore ouverts. Nous achetons des sacs
de pommes de terre vides pour empaqueter les victuailles que nous portons à la voiture : saucissons,
jambons crus, sardines, thon à l’huile, miches de
pain, bouteilles d’eau minérale. J’achète quelques
plaques de chocolat : j’aime les sucreries.
Le capitaine nous a avertis : « Revenez avant
7 heures. J’appareille ce soir. » À 6 heures et demie,
nos provisions sont descendues dans la cale, où je
laisse mes camarades pour revenir à terre dire au
revoir à ma mère et à mon beau-père, qui attendent
sur le quai. Il prend dans son portefeuille un billet
de 5 000 francs auquel il joint un minuscule objet
enveloppé d’un papier journal : une pièce de 50 dollars en or. « Conserve-la précieusement, et ne l’utilise qu’en dernière extrémité. »
Il me tend une feuille de papier sur laquelle il a
griffonné les noms d’André et Philippe de Rousselon.
« Ce sont des cousins. Ils ont une propriété près de
Casablanca. Dès ton arrivée, va les voir de ma part. »
Il joint une autre adresse en Angleterre de la part
d’une de nos amies : « On ne sait jamais. »
Pendant ce temps, je n’ose regarder ma mère, qui
se tient près de moi. Les garçons, là-haut, accoudés à la rambarde, nous observent. À cause de ces
regards, j’embrasse furtivement ma mère. Quand je
me penche vers mon beau-père pour lui dire adieu,
il me glisse dans la main un morceau de papier. Je
grimpe sur la passerelle
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