Alias Caracalla
nous
avons rendez-vous avec Bidault son exemplaire. Il
le parcourt pendant que * Rex me donne ses instructions pour demain et que je lui indique ses prochains rendez-vous, dont celui du 25. Il ne fait aucun
commentaire. A-t-il oublié son départ prochain ?
Le temps de choisir notre menu, Bidault a terminé l’examen du manifeste. Lui qui a toujours un
visage avenant se rembrunit : je sens que quelque
chose le heurte. Ses relations avec * Rex sont telles
qu’en dépit de sa liberté de parole tout est simple
entre les deux hommes.
« Comme toujours, commence Bidault, l’essentiel est dit : cela me rappelle les proclamations de
Bonaparte. Mais, si vous me le permettez, cher ami,
peut-être faudrait-il… [il hésite, cherche un mot
facile à entendre pour * Rex] l’adoucir un peu. »
Bidault est en désaccord avec le style impérieux
de * Rex : « Je vous dis cela parce que les chefs des
mouvements sont à vif. Vous leur proposez de se
dessaisir du pouvoir absolu qu’ils ont conquis avec
le sang des militants. Ils ont la volonté non pas de
représenter, mais d’incarner la résistance de la nation.
Pour vous, c’est une nécessité politique de les contrôler, et vous avez raison. En réalité, ils sont déjà en
état d’insurrection. »
*Rex écoute. Avec le temps, j’ai compris que les
réactions de Bidault, membre du comité directeur
de Combat, lui permettent d’ajuster sa conduite à la
« sensibilité » des chefs des mouvements, dont l’opposition larvée ou frontale l’exaspère.
Après ce simple travail d’explication, je sens Bidaultsoulagé : « Il faut tenir compte de l’état du patient,
dit-il en souriant.
— Évidemment, réplique * Rex, mais, face à Giraud,
il ne faut pas aggraver la confusion. Vis-à-vis des
socialistes, des communistes et des mouvements, le
Général est le chef de la Résistance et doit s’imposer à ce titre.
— Je suis d’accord sur le fond, mais la formulation
est peut-être… [nouvelle hésitation] un peu “carrée”.
— Lisez-le à loisir et proposez-moi les “adoucissements” [ * Rex souligne d’une inflexion de voix]
que vous estimerez nécessaires. Il faut sortir de
l’ambiguïté et des vaines discussions qui paralysent
l’action. Les mouvements doivent comprendre que
s’ils n’organisent pas leurs militants pour le jour J
ils seront balayés politiquement, et la République se
reconstruira sans eux.
— Rassurez-vous, je ne parlais que de forme.
Toutefois, permettez-moi une remarque immédiate.
Pourquoi introduire le PSF moribond, qui n’est plus
que le masque du colonel de La Roque en perdition ?
— Le commandant * Marnier [Manuel] m’a informé
du grand cas que fait * Brumaire 13 , à Londres, des
dissidents nuance Vallin pour rallier les éléments
du centre droit, qui seront utiles à la reconstruction
politique. Vous connaissez mes opinions : à mes
yeux, là n’est pas l’avenir de la France, et encore
moins celui de la Résistance. »
Sur ces paroles * Rex informe Bidault des prochaines rencontres avec Menthon et Manuel, dont il
souhaite recueillir les remarques, puis nous nous
séparons.
Mardi 12 janvier 1943
Manuel juge le manifeste
Hier, * Rex a rejoint le général Delestraint sur le
terrain. Il a toutefois prévu de rentrer chaque jour à
Lyon jusqu’à son départ.
Durant ce mois de janvier hivernal, le choix d’un
restaurant est délicat : soit une salle déserte et glacée, avec peu de clients et la facilité de converser
librement, soit un bouchon surchauffé par la foule
des convives, mais où tout échange est impossible.
La bonne moyenne est Chez Georges , dont la
masse des voyageurs en attente de départ entretient
une température convenable, tandis que l’immensité
des lieux permet de s’isoler en toute sécurité. C’est
la raison pour laquelle je le choisis régulièrement
pour ses invités.
Ce soir nous dînons avec Manuel, qui rend compte
à * Rex de son séjour dans le Midi. Il y a rencontré
*Danvers, *Froment et *Brémond, en instance de
départ avec * Francis.
Les nouvelles sont mauvaises. Ils emportent un
vaste courrier destiné aux socialistes londoniens
— en particulier Félix Gouin, l’envoyé de Léon
Blum —, ainsi que les différents projets de comité
de la Résistance afin de les soumettre à de Gaulle.
Manuel s’est heurté à une fin de non-recevoir : ils
sont totalement braqués contre les mouvements, qui
refusent
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