Alias Caracalla
pour
entrer au Royaume-Uni, à condition de n’y exercer
aucune profession sans l’accord du ministère du
Travail et de quitter le royaume au plus tard à la
date indiquée par le secrétaire d’État…
Les formalités accomplies, nous sortons avec nos
sacs et nos valises et nous retrouvons dans la rue
principale, qui descend en pente douce vers une vaste
place, devant le port.
La rue est bordée de boutiques ressemblant à des
maisons de poupée peintes de couleurs vives (rouge,
vert, bleu) et ornées de grosses lettres en bois sculpté
et doré. Notre groupe marche au milieu de la chaussée, déserte à cette heure. Les vacanciers sont à la
plage. De rares automobiles stationnent le long du
trottoir. Je suis frappé par le luxe des tableaux de
bord en bois précieux et des intérieurs en cuir rouge
ou vert.
Au bas de la rue, une vaste tente est dressée sur
une pelouse. Nous y sommes accueillis par de vieilles
dames parlant un français raffiné. Avec une attention maternelle, elles nous conduisent devant un
immense buffet garni de pies , de toasts, de puddings. Nous avons épuisé nos provisions depuis la
veille et sommes affamés. Et si le peuple anglais était
moins hostile aux Français que ne l’affirme Maurras ?
Après cette collation, dont la gentillesse qui
l’accompagne n’est pas le moindre réconfort, le personnel de sécurité du port nous conduit à la gare.
Dans les rues, quelques estivants aux vêtements
bariolés déambulent paisiblement.
Les autorités nous installent dans des compartiments cossus aux sièges capitonnés qui ressemblent
aux premières classes françaises. Ce n’est pourtant
pas un train de plaisir : aux deux extrémités du couloir, des soldats montent la garde, baïonnette au
canon.
Vers 6 heures, le train démarre. La campagnedéfile, verte, soignée comme un jardin. J’observe les
paysans travailler, vêtus de costumes propres et coiffés de chapeaux de feutre. Les bourgs traversés présentent le même décor pimpant qui m’a frappé à
Falmouth.
Après les nuits passées sur le maïs, celle-ci, dans
les confortables fauteuils du train, paraît enchanteresse.
Mercredi 26 juin 1940
Anerley School 2
À notre arrivée à Londres, tôt ce matin, des autobus nous attendent à la gare Victoria. Ils nous transportent dans la banlieue, à Anerley School, vaste
collège de sourds-muets transformé en centre d’hébergement.
Pénétrant à pied dans la cour principale, encadrée par de hautes façades en brique, j’ai l’impression de revenir à Saint-Elme. J’observe toutefois
dans les détails une richesse inconnue en France :
coquetterie des décors, entretien des bâtiments rutilants, propreté maniaque des rues et des lieux publics.
Le contraste est plus sensible encore avec les
constructions délabrées des campagnes françaises
et les rues noircies de nos villes.
Parqués dans une vaste salle à l’entrée de l’école,
nous sommes de nouveau interrogés par les autorités anglaises. « Quel est le but de votre voyage ? »
Que répondre, sinon la vérité ? « Je suis un volontaire, non un réfugié », dis-je avec fierté, aussitôt
douché par l’impassibilité glaciale qui accueille ma
réponse.
Afin de connaître les conditions de notre réclusion
et de notre avenir, nous demandons à Berntsen, qui
parle couramment l’anglais, d’aller aux nouvelles
après son interrogatoire. À son retour, il nous informe
des horaires du réfectoire, de l’emplacement d’un
bureau de change et d’une boutique où l’on peut se
procurer friandises, cigarettes, objets de toilette, journaux, etc.
De son côté, Cullier de Labadie, toujours pratique,
a découvert des lavabos et des douches, dont nous
avons le plus grand besoin. Après notre enregistrement et une rapide visite médicale à l’infirmerie, on
nous assigne, au premier étage, un ancien dortoir
entièrement vide.
Nous y déposons sacs et valises et abandonnons
deux d’entre nous pour les surveiller. Nous descendons nous laver et nous restaurer à tour de rôle,
puis remontons relever nos camarades.
Je profite de la présence de tous dans le dortoir
pour annoncer une bonne nouvelle : pendant quenous attendions d’être interrogés, Maurice Schwob,
qui ne nous avait pas quittés (nous avons été seulement séparés des Belges), m’a annoncé qu’il serait
libéré dans la soirée puisqu’il avait un passeport et
un visa en règle. Il m’a demandé si
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