Amours Celtes sexe et magie
avaient compris que tout ce qui s’oppose à l’amour le garantit et le consacre dans leur cœur, pour l’exalter à l’infini dans l’instant de l’obstacle absolu qui est la mort. » Décidément, Denis de Rougemont est un adepte inconditionnel du Liebentodt germanique.
Il faut clarifier le débat. Si l’amour est une abstraction pure, Tristan et Yseult seraient alors la proie d’une chimère qu’ils poursuivent sans cesse sans jamais pouvoir l’atteindre. D’où leur mort qui, à ce moment-là, n’est plus une « rencontre éternelle », n’est plus un « triomphe de l’amour sur la vie », mais bien au contraire un constat d’échec brutal. On oublie peut-être que l’amour entre deux êtres est une réalité dans la mesure où chacun des deux partenaires agit . Et l’action de chacun d’eux se manifeste par des effets . Étant donné que la notion d’amour est inséparable de la notion d’harmonie, d’entente, ces effets ne peuvent être que complémentaires, mais non pas identiques : une simple comparaison avec les phénomènes électriques naturels dispense de tout commentaire. L’éclair (pensons au fameux « coup de foudre » !) ne peut jaillir que s’il y a deux forces antagonistes en présence, mais ces forces sont complémentaires.
Il y a donc, en premier lieu, dans l’amour, un échange . Tristan a quelque chose à donner à Yseult, celle-ci a quelque chose à donner à Tristan. C’est évident sur un plan sexuel, c’est encore plus évident sur les plans intellectuel, psychologique et spirituel. Si l’on admet que, dès avoir bu le philtre, Tristan et Yseult sont « passés à l’acte », c’est qu’ils ont compris tout à coup la nécessité de cet échange, qui est vital pour eux, car sans lui ils ne pourraient plus poursuivre leur existence.
Voilà qui élargit le débat. Si l’on en croit le roman en prose du XIII e siècle, dont les sources sont certainement différentes de celles de Béroul et de Thomas, il est dit clairement que Tristan ne pouvait pas survivre plus d’un mois sans avoir eu de rapports charnels avec Yseult. Ce détail revêt une importance exceptionnelle et il remet en cause toutes les interprétations romantiques auxquelles on a pu se livrer sans se référer au schéma primitif de la légende et à sa signification symbolique.
Dans l’archétype irlandais, il faut du temps à Diarmaid pour admettre la réalité de ce qui lui arrive. Encore ne l’admet-il que contraint et forcé par le nouveau geis , concernant sa virilité, que Grainné vient de lancer sur lui. Néanmoins, ce qui devait arriver est donc arrivé. La jonction entre les deux éléments de ce couple emblématique est maintenant accomplie concrètement, et peu importe si c’est pour le bonheur ou le malheur des deux partenaires. Il s’agit là d’une nécessité absolue, non seulement d’un point de vue affectif et physiologique, mais d’un point de vue authentiquement cosmique et pour ainsi dire métaphysique. On doit alors écarter toute justification sentimentale, surtout si l’on prend conscience que Tristan et Diarmaid sont des personnages incarnant la lune, alors qu’Yseult et Grainné sont les représentations du soleil. On s’aperçoit alors que la tradition celtique (de même que la tradition germanique d’ailleurs) est en complète contradiction vis-à-vis des croyances méditerranéennes qui admettent que le soleil est un élément mâle doué d’une grande puissance virile tandis que la lune n’est que son miroir, son pâle reflet féminin – et nocturne – qui ne peut exister s’il ne reçoit pas l’énergie lumineuse dispensée par l’astre du jour.
Le soleil est un principe actif tandis que la lune est un élément passif. Cette constatation ne saurait être mise en doute. C’est la femme qui reçoit la semence de l’homme pour pouvoir donner naissance à un nouvel être. De plus, le cycle menstruel de la femme correspond au cycle lunaire de 28 jours. Ce sont autant d’arguments en faveur de la féminité de la lune. Mais cette vision est plutôt restrictive, car elle ne tient pas compte d’une réalité cosmique : c’est le soleil qui dispense ses rayons sur la terre et la lune, c’est-à-dire une énergie sans laquelle toute vie serait impossible. Et qui peut donner la vie en dehors de la femme ? Certes, l’homme a sa part dans la procréation, mais la semence du mâle serait inutile sans le ventre fécond de la
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