Amours Celtes sexe et magie
« femme-soleil ».
Mais si l’héroïne est une femme-soleil, il faut lui reconnaître des qualités ignées , avec tout ce que cela suppose. Denis de Rougemont insistait sur la brûlure qui dévore les amants, en l’occurrence Tristan et Yseult, ne faisant là que reprendre de façon logique l’effet des flèches de Cupidon dans la littérature faussement mythologique des Grecs et des Latins. Il y a effectivement une brûlure qui ne peut s’éteindre que par la jonction charnelle entre les deux amants. Encore est-ce une extinction provisoire, car une fois l’orgasme dissipé, la brûlure se fait de nouveau sentir, et avec elle ce désir permanent de retrouver l’être aimé, devenu l’unique remède à la souffrance intolérable qui est la conséquence inéluctable de ce « coup de foudre ».
Cependant, le récit insiste sur le pouvoir de décision que garde la femme, même ébranlée par cette rencontre avec l’homme qu’au fond d’elle-même elle a choisi depuis toujours. Ce n’est pas l’amoureux transi qui fera un geste vers celle qui le fait sombrer dans des extases ineffables. Ce n’est pas le néophyte implorant qui ose parler à la Dame de Lumière. C’est la femme qui fera le premier geste, montrant par là qu’elle réclame une tendre liturgie de la part de son prêtre-amant : « La reine voit bien que le chevalier n’ose pas aller de l’avant, elle le prend par le menton et lui donne un très long baiser. » Voilà qui est l’équivalent du geis de Grainné, et du philtre d’Yseult. Désormais, par cette provocation, Guenièvre va projeter Lancelot hors de son univers habituel et lui faire entrevoir, par cette nouvelle naissance, que jusqu’alors il avait erré dans le monde sans avoir pris réellement conscience de son existence.
Ce n’est pourtant pas la première provocation de la part d’une femme que subit ainsi Lancelot. Dans le texte allemand du Lanzelet , qui est, selon l’auteur, une adaptation d’un ouvrage français traduit lui-même du breton armoricain, et qui a toutes les chances de constituer la plus ancienne version de la légende, le héros se trouve un jour hébergé, en compagnie de deux chevaliers errants, Orphilet et Kuraus, dans la forteresse d’un redoutable forestier du nom de Galagrandreiz (« Très puissant combattant »). Celui-ci, qui est veuf, a une fille d’une grande beauté qu’il élève jalousement chez lui à l’abri des tentations du monde, car il ne veut pas s’en séparer.
Là, le récit n’a rien de courtois, et les détails sont assez réalistes. L’hôte accompagne les trois chevaliers dans une chambre et leur recommande de dormir. « Mais alors qu’ils attendaient le sommeil, la fille de l’hôte arriva doucement sans faire de bruit. Elle désirait savoir quelles étaient les manières de ces guerriers et combien sagement ils dormaient, car elle était brûlée par un puissant amour. » On comprend alors que cette fille supporte mal d’être séquestrée par son père, et que les tourments de la chair la brûlent littéralement. Mais ses désirs ne se cristallisent pas sur un objet précis. « Cet amour, en la tourmentant et en la contraignant si fort, la rendait audacieuse. Elle s’assit près d’Orphilet qui était étendu le plus près. Elle lui murmura d’étranges choses et peu à peu, en s’échauffant, elle en vint à s’offrir : Orphilet n’avait plus qu’à faire d’elle son amie, car il y avait longtemps qu’elle attendait la venue d’un homme qui l’aimerait. Mais Orphilet la repoussa avec colère car il n’aimait pas qu’une femme s’offrît ainsi avec tant d’impudeur (68) . »
Quelque peu déçue, la fille ne s’avoue cependant pas vaincue et va trouver Kuraus « qui était étendu tout près entre ses deux compagnons. Depuis que l’amour accroissait sa peine, la fille avait résolu de le courtiser si ardemment qu’aucun homme ne fut jamais en butte à de telles audaces de la part d’une femme. » L’auteur du récit en arrive même à être choqué par l’attitude de la fille de Galagandreiz. Car ici, ce n’est pas d’amour qu’il s’agit, c’est de sexualité pure : la fille est en manque , c’est évident, et elle est prête à n’importe quelle compromission pour satisfaire sa libido.
Mais si elle est en quelque sorte nymphomane, elle n’en perd pas moins sa dignité et surtout son sens de la psychologie. Elle adresse à Kuraus ces paroles significatives
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