Amours Celtes sexe et magie
longtemps. Il s’agit d’une cérémonie d’intronisation royale.
Voici ce qu’il écrit à ce sujet : « Le peuple étant entièrement rassemblé en un endroit de cette terre, on amène au milieu de l’assemblée une jument blanche. Alors un personnage supérieur (un roi ou un chef de tribu) s’avance vers la jument, aux yeux de tous, bestialement, non en prince mais en bête sauvage, non en roi mais en hors-la-loi, et avec moins d’impudence que d’imprudence, il se conduit en bête. Aussitôt la jument est tuée. On la découpe en morceaux et on la fait bouillir dans de l’eau. On prépare avec ce bouillon un bain pour le roi. Il y prend place, on lui apporte des morceaux de viande, et il les mange en les partageant avec le peuple qui est autour de lui. On le lave aussi avec le bouillon ; il en puise et en boit, non pas en s’aidant d’une coupe ou de ses mains, mais directement avec sa bouche. Ce rite étant accompli, son règne et sa puissance sont affirmés (119) . »
Évidemment, dans un contexte chrétien et écrivant pour des souverains chrétiens, Giraud de Cambrie se montre horrifié par de telles pratiques. Mais il ne sait pas que cet étrange rituel, qui peut paraître effectivement très choquant, a un exact répondant en Inde védique : le rite de l’ asvamedha . Mais là, il y a inversion, car c’est la reine qui contracte une union symbolique avec un étalon sacré, tandis que dans le contexte celtique, il s’agit d’un hiérogame entre le roi et son royaume dans un rituel sur lequel plane le souvenir d’une déesse-jument, celle que les Irlandais appellent Macha, les Gallois Rhiannon et les Gaulois Épona. Le mariage du roi avec la reine est donc une union sacrée, mais parfois cette souveraineté acquise par le roi a besoin d’être actualisée, car elle s’épuise au fur et à mesure que le temps s’écoule. Il est donc nécessaire de procéder à une « régénération » du pouvoir royal, et cela ne peut se faire que par une relation sexuelle. C’est ainsi que dans la tradition irlandaise, si l’on en croit les textes des épopées d’Ulster, surtout celle qui concerne le fameux roi Conchobar, on découvre de bien curieuses coutumes qui n’ont pas toujours été comprises.
Ce roi d’Ulster avait de nombreux devoirs, de nombreux interdits et aussi des privilèges qui n’en étaient peut-être pas au sens où on l’entend généralement. En effet, le récit de La Naissance de Conhobar précise : « C’est un grand honneur que les Ulates firent à Conchobar. Et cet honneur, ce fut que chaque homme des Ulates faisait coucher sa fille avec Conchobar la première nuit afin qu’il fût son premier époux (120) . » On connaît cette coutume sous le nom de jus primae noctis , ou encore de « droit de cuissage ». On a parlé de ce droit comme d’une chose monstrueuse et révoltante témoignant de l’injustice et surtout de l’abus de pouvoir pratiqué par les grands de ce monde. Il faut relativiser tout cela. Car, d’une part, ce privilège était une contrainte. Depuis des temps immémoriaux existe la croyance que le sang virginal est dangereux : magiquement, religieusement, seul un être doué de pouvoirs supérieurs peut supporter de répandre ce sang virginal sans que le malheur ou le mauvais sort ne retombe sur l’époux légitime.
D’autre part, dans le cas de Conchobar, comme dans celui de nombreux autres rois celtes, on peut déceler une tout autre motivation : le fait de donner une fille vierge au roi pour qu’il soit son premier époux équivaut à un mariage symbolique : les filles vierges représentent l’Irlande, et chaque fois que Conchobar accomplit le rituel, il régénère la puissance de sa souveraineté, cette souveraineté étant représentée par la fille qu’on lui amène dans son lit. Il y a donc perpétuel recommencement du mariage primitif du roi avec la terre dont il a la charge afin que cette souveraineté ne puisse pas s’affaiblir (121) . Tous les peuples ont plus ou moins assimilé l’intronisation royale à une union sexuelle, parfois réelle, parfois symbolique, une « hiérogamie » par laquelle est scellé le contrat qui unit le roi et l’ensemble de son peuple.
Cet acte rituel n’est d’ailleurs pas toujours une « partie de plaisir », comme en témoigne un court récit épique concernant le roi semi légendaire Niall aux Neuf Otages. Un jour, les trois fils du roi Éochaid Muigmedon se
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