Amours Celtes sexe et magie
forteresse. Et c’est le nom que l’on donne au ravisseur sur l’archivolte de Modène.
Cependant, dans le récit de Durmart , les chevaliers Kaï et Yder accompagnent le roi Arthur en personne dans cette poursuite du ravisseur de la reine. C’est ainsi qu’ils parviennent sous la Tour Douloureuse qui est défendue par un géant nommé Burmalt. Sa description fait d’ailleurs penser à celles du « rustre » ou de « l’homme des bois », qui sont innombrables dans les différentes versions da la légende arthurienne aussi bien que dans la tradition épique irlandaise. Il s’agit d’une sorte d’Hercule aux cheveux hirsutes, armé d’une massue, qui semble lui aussi appartenir à l’Autre Monde. On serait même tenté d’y voir un doublet du fameux Dagda, l’un des chefs des Tuatha Dé Danann de la mythologie gaélique.
Mais la situation d’Arthur et de ses compagnons est loin d’être favorable, car ils n’arrivent pas à forcer l’entrée de la forteresse. C’est alors qu’intervient une femme, qui a tout l’air d’être une fée – ou une sorcière – que Carados a jadis enlevée pour la livrer à Mardoc. Celle-ci vient trouver Gauvain et lui remet une épée magique, seule arme efficace pour éliminer le géant. Gauvain n’hésite pas : il se précipite et tue le géant. Arthur et ses compagnons parviennent donc à pénétrer dans la Tour Douloureuse et s’emparent de toutes les richesses qui s’y trouvent entassées. Mais Mardoc est épargné parce qu’il consent à rendre la reine au roi. C’est une victoire, c’est certain, mais la suite fait apparaître de singuliers détails sur le comportement de la reine, comportement qui est fort peu conforme à celui que lui attribue Chrétien de Troyes dans son Chevalier de la charrette.
Arthur ramène son épouse à la cour et là, Guenièvre adopte une attitude quelque peu suspecte : d’une part, elle semble regretter d’être séparée de son geôlier, affichant même une sorte de respect amoureux envers celui-ci, et, d’autre part, elle manifeste une admiration presque exaltée, pour ne pas dire amoureuse, à propos de Gauvain qui, dans ce récit comme dans le Chevalier de la charrette , est son véritable libérateur. Cela remet en mémoire l’éloge que fait Gauvain de la femme de son oncle, dans un passage du Conte du Graal : « Depuis la première femme qui fut formée de la côte d’Adam, il n’y eut jamais de dame si renommée. Elle le mérite bien, car de même que le maître endoctrine les jeunes enfants, ma dame la reine enseigne et instruit tous ceux qui vivent. D’elle descend tout le bien du monde, elle en est la source et origine. Nul ne peut la quitter qui s’en aille découragé. Elle sait ce que chacun veut et le moyen de plaire à chacun selon ses désirs. Nul n’observe droiture ni ne conquiert honneur qui ne l’ait appris auprès de ma dame. Nul ne sera si affligé qu’en partant d’elle, il emporte son chagrin avec lui (124) . » Quel hommage ! Et quels sous-entendus !… À travers le style « courtois » de la fin du XII e siècle sur le continent, se profilent de bien étranges réminiscences.
On peut alors supposer une possible liaison entre la reine et le neveu du roi. Après tout, Tristan, amant d’Yseult, épouse du roi Mark, est bien le neveu de celui-ci et, comme Gauvain, est l’héritier présomptif de son oncle, selon la coutume celtique dite « matrilinéaire » qui privilégie toujours le neveu, fils de la sœur. Il est donc tout à fait plausible que, dans les versions antérieures de la légende, Gauvain ait été l’amant de Guenièvre, et que les auteurs de romans courtois, donc christianisés, aient voulu atténuer la gravité de son « péché » en substituant un Lancelot étranger à la famille au propre neveu du roi.
À vrai dire, la reine Guenièvre, si elle paraît d’une fidélité absolue à Lancelot dans les versions « classiques », semble avoir octroyé ses faveurs à quelques autres compagnons d’Arthur si l’on décrypte quelque peu les textes. En dehors de Gauvain, ce sont les noms de Kaï et d’Yder (Édern) qui apparaissent au premier plan. Ces trois personnages sont d’ailleurs présents et nommés sur l’archivolte de Modène qui, répétons-le, date de l’an 1100 et témoigne de la connaissance qu’avaient les gens de l’Italie du Nord de cette tradition d’origine celtique bien avant la composition des romans de
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