Amours Celtes sexe et magie
passant par une fenêtre protégée par des grilles de fer. Lancelot tord les grilles pour s’introduire dans la chambre, mais il se blesse, ce qui rouvre des plaies antérieures. Le matin, il s’en va après avoir remis en place les barreaux de la fenêtre en état. Cependant, Méléagant, qui convoite ardemment la reine, s’aperçoit que le lit de Guenièvre est rempli de sang. Or, comme Kaï – qui a eu la délicatesse de ne pas se réveiller lors des débats nocturnes de Lancelot et de la reine – est toujours couché dans son lit et que ses blessures saignent abondamment, il n’en faut pas plus pour qu’il soit accusé d’adultère et de félonie.
Il semble que le romancier champenois ait eu, lui aussi, connaissance d’une tradition très ancienne au sujet de cette possible liaison entre Kaï et Guenièvre. On en a la trace dans un étrange poème gallois conservé dans un manuscrit du XVI e siècle, dont l’érudit Ifor Williams a démontré qu’il était la transcription d’une légende orale du Devon ou du sud du pays de Galles. Ce poème est connu sous le titre de « Dialogue entre Arthur et Gwenhwyfar », mais si l’on s’en tient à cette appellation, le texte est d’une totale incohérence. Selon un autre celtisant, Kenneth Jackson, il faut replacer ce poème dans le contexte de l’histoire racontée au début du Chevalier de la charrette , au moment où Méléagant vient réclamer la reine à Arthur et où Kaï est le premier à vouloir défendre Guenièvre.
En remettant un peu d’ordre dans ce poème, on peut supposer qu’Arthur vient de demander au nouvel arrivant son identité. L’insolent personnage déclare se nommer Maelwas d’Ynis Gutrin. Maelwas est évidemment le Méléagant de Chrétien de Troyes, et Ynis Gutrin (« île de Verre ») est le mystérieux royaume de Gorre. Donc Maelwas fait montre de son insolence dans un échange verbal entre lui, Gwenhwyfar et Kaï. Et l’on y relève d’étranges allusions. La reine y laisse en effet libre cours à son admiration pour Kai : « Le seul héros qu’on ne puisse surpasser, c’est Kaï, fils de Servin. »
Et comme Maelwas se vante d’être l’homme qui surpassera Kaï, la reine lui répond : « Jeune homme, il est étrange de t’entendre. À moins que tu ne vailles plus que ton aspect, tu ne pourrais dépasser Kaï, même avec cent guerriers (125) . » Quant à la suite du poème, elle indique que Maelwas était depuis fort longtemps amoureux de Gwenhwyfar et qu’il guettait le moment propice pour s’emparer de la reine. D’où cette joute oratoire avec Kaï, où se manifeste une acerbe jalousie. Quant au roi Arthur, il semble complètement absent de ce débat. Serait-il donc consentant aux infidélités de la reine ? La question reste posée, mais il ne fait pas de doute que, dans la tradition celtique, la reine, qui représente la souveraineté, ne peut être qu’infidèle à son époux légitime, car elle dispose de cette souveraineté et la dispense à qui elle veut.
Un autre élément de réponse se trouve dans un épisode de la Vita Gildae , écrite au début du XII e siècle, sur des données archaïques, par le moine Caradoc de Llancarvan. On y apprend que le fameux saint Gildas vient s’établir à Urbs Vitrea (« Ville de Verre » identifiée à Glastonbury) où se trouve un étrange monastère tenu par Maelwas, qui y retient prisonnière la reine Guennevar. Cette Urbs Vïtrea est assiégée par le tyrannus Arthur qui réclame Guennevar, « son épouse enlevée par un roi inique ». En fait, il semble bien que la reine ait été parfaitement complice de cet enlèvement, et le moins qu’on puisse dire, c’est que Guenièvre était très demandée et qu’elle n’était pas insensible aux charmes de ses soupirants.
Le roi de type celtique – et Arthur, du moins dans la légende, en est une figuration exemplaire – n’est que le dépositaire et le répartiteur des richesses et du pouvoir que détient la reine. L’épopée irlandaise ancienne, telle qu’elle a été transcrite par les moines chrétiens du Haut Moyen Âge, dans de précieux manuscrits en langue gaélique, nous présente une image emblématique de cette déesse-reine tyrannique, toujours vierge parce que libre de disposer de la souveraineté comme elle l’entend, et cela pour le bien de la communauté tout entière. C’est sur cette conception que sont bâties toutes les histoires concernant les
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