Amours Celtes sexe et magie
armes et perdre ainsi son royaume. Le pire a donc été évité, et Galehot, renonçant à ses ambitions, a fait sa soumission, ce qui lui vaut d’être admis parmi les chevaliers de la Table ronde. Cependant, la crise est latente et elle risque d’éclater à tout moment, et c’est pourquoi un jeu subtil s’instaure, dans lequel Arthur et Guenièvre vont être parfaitement complices.
Il s’agit en effet de retenir Lancelot à la cour le plus longtemps possible, puisqu’il est indispensable à la survie du monde arthurien et que, d’autre part, la reine a compris qu’elle ne pourra jamais plus se passer de lui. Malheureusement, les liens de Lancelot avec Galehot risquent de provoquer son départ. Donc, il faut user de tous les moyens pour éviter ce départ. Et comme Arthur a remarqué l’intérêt que porte Lancelot à la reine, il demande à celle-ci de faire tout ce qu’il faut pour contraindre Lancelot à rester. On n’est pas plus lucide, ni plus machiavélique, et ce serait une erreur d’interprétation des faits que de considérer Arthur comme un cocu ignorant. Il sait très bien où il en est, et il est loin d’être naïf. Guenièvre non plus d’ailleurs, ce qui jette quelque suspicion sur le grand amour passionné et romantique qu’on lui attribue pour Lancelot : en l’occurrence, elle est vraiment la « putain royale » et elle a pleine conscience de ses responsabilités. Elle est prête à les assumer.
Elle s’adresse alors à Galehot, comme étant le mieux placé pour lui faire rencontrer Lancelot. De fait, Galehot, qui va d’ailleurs tomber amoureux de la Dame de Malehaut, servira d’entremetteur entre la reine et Lancelot. Ceux-ci vont ainsi pouvoir se rencontrer et échanger un baiser, sous la protection efficace de Galehot et de la Dame de Malehaut. Chacun y trouve son compte et, désormais, c’est une sorte de « ménage à quatre » qui s’installe, le rôle de chacun des participants apparaissant de plus en plus ambigu. Guenièvre, obéissant visiblement à Arthur, suscite l’amour de Lancelot et l’obtient sans difficulté puisque, de toute façon, il était follement amoureux de la reine depuis sa première rencontre avec elle. Galehot sert les amours hétérosexuels de Lancelot et de Guenièvre parce que c’est le seul moyen qu’il a de conserver avec Lancelot son rapport de type homosexuel. Quant à la Dame de Malehaut, qui est une figure très « morganienne », elle se mêle à l’intrigue pour mieux tisser ses propres intrigues et déjouer celles des autres. Il n’y a guère que Lancelot et Galehot qui soient sincères dans cette histoire : si Lancelot est littéralement possédé de Guenièvre comme d’autres sont possédés de Dieu ou du Diable, Galehot ne l’est pas moins vis-à-vis de Lancelot, et il accepte la liaison hétérosexuelle pour mieux satisfaire ses désirs homosexuels.
Car ceux-ci sont clairement exposés dans le récit cistercien. Galehot ne cesse de soupirer après Lancelot, exactement comme le ferait une femme aimante. Galehot est plein de crainte et d’attirance envers Lancelot et, en outre, plus tard, on le verra mourir littéralement d’amour lorsqu’il apprendra la fausse nouvelle de la mort de son héros : il s’agit ici d’une belle répétition de ce célèbre Liebentodt dans lequel se sont engouffrés – et sublimés – Tristan et Yseult.
Il y a une extraordinaire équivalence entre les amours de Lancelot et de Galehot d’une part et les amours de Tristan et Yseult, d’autre part. Quand il apprend la mort de son ami Galehot, Lancelot fait enterrer le « seigneur des Îles Lointaines » dans un tombeau qu’il fait édifier dans son château de la Joyeuse Garde. Et c’est là que, beaucoup plus tard, après avoir terminé pieusement sa vie dans un ermitage (134) , il sera inhumé lui-même, dans le même tombeau que celui de son ami le plus cher. On ne peut guère aller plus loin dans l’expression de l’amour absolu, et peu importe que celui-ci soit de nature homosexuelle.
Mais ces quelques fragments épiques ne concernent que l’homosexualité masculine. Qu’en est-il de l’homosexualité féminine ? Dans les textes qui nous sont parvenus, aussi bien des Grecs et des Latins que des compilateurs, généralement des moines du Haut Moyen Âge, on ne remarque aucune allusion, même la plus discrète, à des pratiques lesbiennes. Il faut alors essayer de « lire entre les lignes » et tenter de
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