Amours Celtes sexe et magie
ouvrage Le Rivage des Syrtes . Le narrateur, assez désœuvré, est entré dans un de ces jardins plus ou moins abandonnés et désuets qui parsèment la ville d’Orsenna. Alors qu’il s’attendait à n’y trouver personne et à pouvoir méditer à son aise, il aperçoit une jeune fille accoudée à l’endroit où il a lui-même l’habitude de s’accouder. Il se produit alors un complet bouleversement dans l’esprit du narrateur, pris au piège des circonstances.
« La beauté de ce visage à demi dérobé me frappait moins que le sentiment de dépossession exaltée que je sentais grandir en moi de seconde en seconde. Dans le singulier accord de cette silhouette dominatrice avec un lieu privilégié, dans l’impression de présence entre toutes appelée qui se faisait jour, ma conviction se renforçait que la reine du jardin venait prendre possession de son domaine solitaire… Je ne devais me rendre compte que bien plus tard de ce privilège qu’elle avait de se rendre immédiatement inséparable d’un paysage ou d’un objet… Les choses, à Vanessa, étaient perméables. D’un geste ou d’une inflexion de voix merveilleusement aisée, et pourtant imprévisible, comme s’agrippe infaillible le mot d’un poète, elle s’en saisissait avec la même violence amoureuse et intimement consentie qu’un chef dont la main magnétise la foule (148) . »
La Sheela-na-Gig fait peur. Elle est répugnante, monstrueuse, dévoreuse. Mais elle attire les regards de l’homme qui voit alors l’occasion de soulever un coin du voile , soulever le fameux « voile d’Isis ». Et si l’on peut facilement – et stupidement – classer le geste d’un jeune garçon qui s’arrange pour voir ce qu’il y a sous les jupes d’une femme comme une dépravation, c’est alors toute l’humanité qui est pervertie, ce comportement, comme celui de l’amant qui dévoile avec dévotion le corps de la femme aimée, est en effet un geste rituel et sacré hérité de la nuit des temps.
Mais pour en arriver là, il faut absolument oublier toutes les inhibitions, vaincre la peur et le dégoût, et pénétrer résolument au cœur du mystère. Et c’est l’Amour entre deux êtres qui permet cette résolution dans un cadre paradisiaque, souvent symbolisé par le verger où se rencontrent les amants, à l’abri des regards indiscrets, isolés du monde, et enfin réunis dans une fusion autant sexuelle qu’affective qui leur permet à la fois de transformer l’univers et de se métamorphoser eux-mêmes en un nouvel être, unique et enfin réintégré dans son unité primordiale. Désormais, comme il est dit dans Le Lai du chèvrefeuille de Marie de France, « ni vous sans moi, ni moi sans vous ».
C’est d’ailleurs là que réside la tragédie. Car, parvenus à ce point ultime, les amants ne peuvent plus revenir en arrière. Ils ne sont plus un plus un, mais un en totalité. Tristan et Yseult, Diarmaid et Grainné, Déirdré et Noisé ne peuvent plus continuer à vivre s’ils sont séparés, soit par la mort soit par des impératifs sociaux ou moraux. Et, dans cette optique, on ne peut que se référer à un court récit irlandais peu connu qui résume de façon exemplaire la tragique et pourtant triomphante destinée des êtres qui, s’étant rencontrés au-delà de toutes les inhibitions et de tous les interdits, ont eu la révélation de l’état paradisiaque d’avant ce qu’on appelle la « chute ».
Ce texte en langue gaélique, L’Histoire de Bailé au doux langage , contenu dans un manuscrit du XII e siècle, raconte brièvement le drame de deux amants frappés par une sorte de malédiction qui s’abat sur eux alors que tout est au mieux dans le meilleur des mondes possible. « Bailé était le fils unique de Buan ; il était le préféré d’Ailinn, fille de Fergus de la Mer […]. Ailinn et lui convirent de se rencontrer en un rendez-vous d’amour à Ross na Rig, sur la rive de la Boyne. » Bailé vient d’Ulster et se rend au lieu fixé : « Là, on détela les chariots, on mit les chevaux à paître, et on se livra au plaisir et à la joie. »
C’est alors que Bailé et ses compagnons voient venir du sud un « horrible fantôme : sa marche était rapide et il avançait vite. Sa manière de progresser sur la terre était comme celle d’un faucon qui se lance du haut d’une falaise, ou celle du vent qui vient de la grande mer ». On lui demande qui il est, d’où il vient et
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