Amours Celtes sexe et magie
sont également réfugiés dans une grotte, alors que tous les autres récits les placent dans une forêt inextricable. Ce remplacement de la forêt par la grotte amène naturellement à une identification entre les deux. La forêt est toujours sombre et mystérieuse. Elle est le repaire des bêtes féroces et, surtout lorsqu’elle est dite « forêt vierge », elle constitue une des images les plus fréquentes de la féminité. Cela va du sanctuaire au milieu de la forêt, le nemeton des anciens druides, jusqu’au joli « jardinet » chanté par François Villon, qui désigne la touffe pubienne, sans parler des « broussailles » et des « buissons » des récits pornographiques. Caverne, forteresse ou forêt ne sont que des « sanctuaires » où les amants peuvent se réfugier pour communier dans « le sacrement de l’amour ». Et c’est dans le verger médiéval, image d’un microcosme isolé et parfumé, secret et clos, que se réalise le plus sûrement l’acte d’amour.
À condition d’avoir pu pénétrer à l’intérieur de ce paradis perdu situé, comme le décrivait avec répugnance Tertullien, super cloacam , c’est-à-dire « au-dessus de l’égout ». Ce n’est pas toujours facile. Un autre conte populaire, recueilli dans les Vosges, relate l’aventure d’un jeune homme, nommé Lyon, qui pénètre dans un château merveilleux après avoir franchi de nombreux obstacles et tué trois géants qui voulaient l’empêcher d’aller plus loin. Une fois dans cette forteresse dont il a franchi l’entrée, il traverse une première salle en argent, une seconde en or, une troisième remplie de pierres précieuses. Mais dans une quatrième salle, il découvre la « princesse d’Autriche » endormie, au-dessus de laquelle se trouve un écriteau portant cette phrase : « Celui-là qui me délivrera après avoir tué les trois géants gardiens de ce château, profitera de moi et m’enlèvera l’anneau que j’ai au doigt (147) . » Cet anneau représente évidemment l’esclavage dans lequel était réduite la princesse. Ainsi, en enlevant cet anneau du doigt de la femme, c’est lui-même que le héros délivre de toutes ses terreurs et de toutes ses répulsions : il accomplit alors un véritable acte de défloration.
Un autre exemple de cette victoire sur le dégoût du « cloaque » est constitué par un passage du roman occitan de Jaufré , prototype méconnu de la « Quête du Saint-Graal ». Après une série d’aventures dans la forêt de Brocéliande, le héros se trouve dans une maison de lépreux où il découvre une très belle jeune fille. Il doit se battre contre les lépreux et, pour sortir de là, il lui faut briser une statue d’enfant. Les références sont claires : après s’être égaré dans une forêt très touffue et pleine de dangers, Jaufré découvre la femme aimée, mais il doit combattre les lépreux, c’est-à-dire ses répulsions, et briser une statue d’enfant, c’est-à-dire briser sa propre enfance et devenir vraiment adulte.
Une fois accompli ce geste destructeur – et purificateur –, la maison s’écroule et Jaufré se retrouve dans un verger « tout clos de marbre », avec des arbres, des fleurs et des oiseaux qu’on ne voit nulle part ailleurs dans le monde. C’est le verger d’une jeune orpheline, Brunissen, qui, attristée par un deuil, cela depuis sept ans, manifeste son chagrin avec les siens par des larmes trois fois la nuit et quatre fois le jour. Seul le chant des oiseaux peut apaiser sa douleur. Le héros, après avoir admiré la beauté du verger, s’y endort d’un sommeil de plomb. C’est alors que la jeune Brunissen le découvrira et en tombera amoureuse ( Jaufré , vers 3040 et suivants). Là encore, tout est bien clair : une fois sa naissance refoulée, et donc après avoir lutté contre ses terreurs et ses dégoûts, Jaufré voit son univers habituel s’écrouler pour laisser place à un monde paradisiaque, le verger dans lequel il s’endort, ce qui caractérise son état post coitum , cette étonnante « petite mort » qui suit immédiatement l’orgasme.
Et quand il se réveillera, non seulement il sera lui-même autre , mais son environnement sera complètement métamorphosé, ayant rétabli la situation paradisiaque primitive. C’est ce que traduit admirablement Julien Gracq, l’un des romanciers les plus mal connus mais l’un des plus inspirés du XX e siècle, dans un passage de son
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