Amy, ma fille
mère l’avait assommée de recommandations. Comment interpréter sa chanson, comment parler au metteur en scène. « Ne fais pas ci, ne fais pas ça, regarde-le dans les yeux… » Amy avait déjà appris tout ça chez Susi Earnshaw, mais bien sûr, ma mère se pensait mieux placée pour lui enseigner ça. Elles ont fini par arriver au théâtre où se trouvaient, selon Amy, des milliers de parents et de grands-parents persuadés, eux aussi, que leur petit prodige deviendrait la nouvelle Annie.
Quand le tour d’Amy est arrivé, elle a donné sa partition au pianiste. Mais il n’a pas voulu la jouer parce qu’elle n’était pas écrite dans la bonne tonalité. Amy a dû chanter dans une tonalité beaucoup trop aiguë pour elle. Au bout de quelques mesures seulement, on l’a priée d’arrêter. Le metteur en scène l’a remerciée très gentiment en lui expliquant que sa voix ne correspondait pas au rôle. Ma mère n’a pas supporté. Elle lui a dit en hurlant qu’il ne savait pas de quoi il parlait. Ils se sont violemment disputés.
Dans le train du retour, ma mère s’en est prise à Amy en lui adressant les reproches habituels : « Tu ne m’écoutes jamais, tu crois que tu sais tout mieux que tout le monde… »
Amy se fichait pas mal de ne pas avoir décroché le rôle, mais ma mère, elle, s’est mise dans un tel état qu’elle est restée allongée le reste de la journée. Quand Amy m’a raconté l’histoire, ça m’a bien amusé. Ma mère et Amy se ressemblaient beaucoup, je les imaginais en train de se disputer pendant tout le trajet.
J’aurais bien aimé assister à ça.
Il y avait toujours des hauts et des bas entre elles, mais elles s’aimaient beaucoup. Ma mère leur a passé pas mal de bêtises, à Alex et elle. Quand nous lui rendions visite, Amy lui faisait souvent un brushing tandis qu’Alex s’improvisait pédicure. À la fin, ma mère nous montrait les cheveux qu’Amy avait éparpillés dans tout l’appartement et on riait bien.
*
Au printemps 1994, quand Amy avait dix ans, je l’ai accompagnée à un entretien dans sa future école, Ashmole, à Southgate. J’avais moi-même fréquenté cette école quelque vingt-cinq années plus tôt et Alex y était déjà inscrit, donc le choix nous paraissait évident. Chose incroyable : mon ancien maître, Mr. Edwards, enseignait toujours et il allait devenir l’instituteur d’Amy. C’est lui qui nous a reçus pour l’entretien. Quand nous sommes entrés dans son bureau, il m’a immédiatement reconnu et m’a lancé, avec son magnifique accent écossais : « Oh mon Dieu, encore un Winehouse ! Je parie que celle-là ne joue pas au football ! » Je m’étais forgé une certaine réputation de joueur de foot et Alex suivait mes traces.
Amy est entrée à Ashmole en septembre 1994. Dès le départ, elle s’est montrée dissipée. Sa copine Juliette était elle aussi venue dans cette école. Elles étaient déjà difficiles prises séparément, mais ensemble, c’était dix fois pire et assez vite, elles ont été séparées.
Alex possédait une guitare dont il avait appris à jouer tout seul et quand Amy a décidé de s’y mettre, il lui a enseigné les rudiments. Il était très patient avec elle, même s’ils se disputaient beaucoup. Ils savaient tous les deux lire la musique, ce qui me surprenait. Quand je leur ai demandé où ils avaient appris, ils m’ont regardé comme si je leur parlais chinois. Peu après, Amy a commencé à écrire des chansons, certaines très bonnes, d’autres très mauvaises. L’une des bonnes s’intitulait « I Need More Time », (Il me faut plus de temps). Elle me l’a jouée quelques mois avant sa mort. Croyez-moi, cette chanson avait le niveau pour figurer sur l’un de ses albums et c’est bien dommage qu’elle ne l’ait jamais enregistrée.
J’allais souvent chercher les enfants à l’école. À l’époque, je conduisais une décapotable et Amy insistait pour qu’on baisse le toit. Alex était assis à l’avant et elle à l’arrière, chantant à tue-tête. Quand on s’arrêtait au feu rouge, elle se levait pour se donner en spectacle. On lui ordonnait de se taire, mais les gens riaient en la voyant chanter.
Un jour, elle était en voiture avec un de mes amis, Phil, et s’est mise à chanter « Deadwood Stage », tirée du film de Doris Day, Calamity Jane .
— Tu sais, m’a dit Phil en revenant alors qu’elle lui avait sans doute cassé les
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