André Breton, quelques aspects de l’écrivain
communication et un problème d' heuristique.
Ce goût d'analyse auquel les âges classiques ont subordonné toutes les recherches formelles, ce goût du dépouillement, qui nous a menés à la métaphore de l'«écorché vif» ne tient peut-être pas suffisamment compte (poursuivons notre métaphore aventureuse) de ce que toute pensée a aussi un épiderme par lequel elle respire et par lequel elle «prend contact». Un climat nouveau — on ne saurait trop y insister — est né avec le bergsonisme, qui nous rend particulièrement sensibles au fait que l'affleurement d'une pensée à la conscience participe toujours plus ou moins du caractère émouvant de la naissance — intellectuelle, certes, dans son essence, elle est mêlée indéfinissablement à une frange colorée d'affectivité, éminemment vibratile, capable de propager des ondes dans les zones voisines, elle est élan moteur et potentiel magnétique capable d'infinies et brusques variations. Or, il est clair que cet état naissant d'une pensée, vague, protéiforme, mais douée d'une charge affective considérable (la pensée faite vibration), est entre tous celui qui paraît le plus apte à la communication. Certains regards ou certains gestes d'un acteur inspiré, certains mouvements d'un grand poète, avant toute élucidation d'un contenu, éveillent notre sensibilité — par opposition à cette menue monnaie mentale, si aisément la proie des faussaires, que remue la «mise en circulation des idées» — à des états contagieux de la pensée où le seul passage d'un souffle impalpable sème en éclair d'un être à l'autre la floraison incendiaire d'un climat d'orage. Attachée à ce moment de mystère où l'esprit se fait pur épanouissement, on sait de reste que la poésie ne se propose jamais rien tant, par la rupture de toutes les associations habituelles au moyen de l'image, que de provoquer artificiellement cet état naissant en essayant de nous faire voir chaque objet dans une lumière de création du monde et comme pour la première fois. Dans l'état de grâce poétique, que ce soit ou non une illusion, le courant semble passer de conscience en conscience sans obstacle, une entrée en résonance spontanée se produit qui donne plus encore que l'impression de la communication celle de la «co-naissance» pour reprendre l'expression de Claudel. N'eût-il que recherché la solution de ce problème de la communication poétique (il l'a cherché aussi), le cas de Breton se ramènerait à celui de toute une lignée de poètes et ne présenterait rien de spécifiquement original. Ce qui rend son cas passionnant c'est qu'en dépit de ses dons poétiques il est d'abord un théoricien et un écrivain d'idées et cependant poète en tant que tel; c'est qu'il a tenté de résoudre pour le domaine des idées pures ce problème de la communication sensible et qu'il a réussi en fait là même à obtenir ce caractère d'intimité dans l'adhésion qui passait pour le privilège exclusif de l'image poétique. Ce que cherche toujours à s'assurer Breton théoricien, beaucoup plus que la correction logique dans l'articulation des arguments c'est la prise directe aussi saisissante qu'une main posée sur l'épaule, que son lecteur ressent intensément — ce qu'il a cherché à éliminer c'est cette solution de continuité interposée dans la communication par la double opération de chiffrement, puis de décryptement que suppose la pénétration d'une pensée mise en forme. Le problème original que pose sa manière d'écrire est celui des moyens formels capables de rendre (comme c'est chez lui par moments le cas) une pensée entièrement sensible tout au long de son cheminement.
Ce caractère vibratile, intensément communicatif de la pensée, liée à un certain «état naissant» ne se manifeste nulle part avec autant d'énergie que dans la trouvaille. Rien ne remplace, et c'est bien connu, la prise immédiate que trouve sur le lecteur une phrase dont on s'assure à je ne sais quelle «saute de vent» qui soulève soudain avec un claquement de voile le cours égal d'une prose bien gouvernée — qu'elle s'est présentée au scripteur à l'improviste, vraiment «au tournant», qu'il s'est senti soudain avec elle face à face dans la brusquerie de l'éblouissement. Encore qu'il ne se voie pas d'écrivain qui ne profite à l'occasion d'une telle chance, on peut refuser en principe (ce fut le cas des écrivains classiques) une manière d'écrire qui
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