Antidote à l'avarice
tomber les gants sur l’établi.
Le train de l’évêque était parti pour Tarragone une heure après le lever du soleil. Il le savait. Il l’avait observé depuis l’ombre de sa porte. Les voyageurs devaient maintenant se trouver à plusieurs lieues de là, à chaque instant plus près de Tarragone et de Ruben, ce répugnant cousin de Raquel que sa mère voulait lui faire épouser. Elle ne reviendrait jamais. Sa vie à lui s’arrêterait là. Il soupira, reprit le gant abîmé et alla avouer sa maladresse à son oncle.
— Ceci concerne-t-il le moine qui est mort ce matin ? demanda Galceran de Monteterno.
— D’une certaine façon, oui, lui répondit Don Arnau. Nous savons grâce à ce document qu’il avait la permission de se rendre en Avignon. Nul doute qu’il était en mission pour l’archevêque, peut-être même Sa Sainteté le pape. Il s’appelait frère Norbert.
Dans la pièce, la tension ne cessait d’augmenter.
— Ce moine portait une lettre avec lui, poursuivit Don Arnau en désignant l’objet posé sur la table, et il souhaitait la porter à l’évêque. L’oncle de l’enfant qui a découvert le mourant me l’a confiée. Selon toute apparence, elle s’adresse personnellement à Son Excellence.
— Selon toute apparence ? interrogea Pere Vitalis.
— Examinez-la de près et vous verrez que le nom du destinataire est masqué par le sang, mais l’on peut distinguer « excellence » et une partie du mot « évêque ». L’enfant aurait dit qu’il a insisté sur ce point.
— Puis-je en étudier le sceau ? demanda Galceran.
Don Arnau poussa la lettre dans sa direction. Galceran la prit, la retourna et l’observa avec attention.
— Je n’en vois aucun, fit-il. Il semblerait qu’il n’y ait qu’une ou deux feuilles de papier, mais il est, comme vous le dites, souillé.
— C’est là que réside la difficulté. Cette missive a été imbibée de sang, qui a séché. Je ne puis voir si elle a été scellée et ouverte ou pas scellée du tout. Mais si nous tentons de l’ouvrir, il sera clair que…
— … nous l’avons ouverte, termina Galceran de Monteterno.
— J’hésite à le faire si cela le concerne seul, et pas les affaires du diocèse. J’ai besoin de votre avis.
Chacun avait compris pourquoi on les avait réunis. Quel que fût le contenu de cette lettre, Don Arnau était déterminé à ce que tous fussent loués ou blâmés pour l’avoir ouverte. Ramon de Orta, expert dans l’art de sauver sa peau, entrevit le gouffre qui s’ouvrait devant lui.
— Quelles étaient les paroles exactes du moine, Don Arnau ? Cela pourrait nous aider que de le savoir.
Il y eut un silence.
— Nous ne détenons que les propos de l’oncle, répondit enfin le vicaire. À savoir qu’il y avait une enfant. Et la version qu’il donne de ce qu’elle est censée avoir dit.
— La présence sur le banc, au pied de l’escalier, d’une créature féminine assez crasseuse permettrait de supposer qu’il y a bel et bien une enfant, dit Orta. Pourquoi ne l’appelons-nous pas pour l’interroger ?
— Elle aura trop peur pour parler, objecta le vicaire général.
— Dans ce cas, permettons à cet homme peu ragoûtant assis à côté d’elle et qui doit être son oncle de l’accompagner afin de la rassurer.
Don Arnau acquiesça.
— Je vais demander à mon secrétaire de les chercher tous deux.
Sur ce, il quitta le cabinet pour trouver de l’assistance.
— J’espère qu’il n’en aura pas pour trop longtemps, dit Galceran. Mon neveu arrive aujourd’hui et insiste beaucoup pour me voir. Nous dînons ensemble.
— Je ne m’aventurerais pas à deviner combien de temps cela lui prendra, lâcha Pere Vitalis. Mais pour notre bien à tous, ne faites pas état de votre neveu, je vous en prie. Cela le ralentira encore plus quand il envisagera les conséquences éventuelles d’un dîner entre un chanoine et son neveu.
Un murmure de conversation se faisait entendre à l’extérieur de la pièce.
— Combien d’instructions doit-il donner à son secrétaire pour ramener un ivrogne et une gamine ? s’étonna Ramon de Orta. J’en viens presque à me languir de Son Excellence.
Pere Vitalis mit de côté ce petit commentaire pour le resservir à Son Excellence lorsqu’il rédigerait son rapport confidentiel.
Le vicaire général et la fillette, suivie de son oncle, arrivèrent l’un après l’autre. Elle regarda les quatre hommes
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