Antidote à l'avarice
effectivement le faire au lieu de profiter d’une charrette. Quelques-uns auraient pu marcher nuit et jour auprès de la mule la plus robuste, sans jamais se plaindre, mais les autres ne cessaient de ronchonner.
À la place privilégiée qu’il occupait dans le chariot, Gilabert, brûlant de fièvre, se réveillait parfois pour retomber aussitôt dans l’inconscience.
— Nous devrions nous arrêter un peu, maîtresse, dit Naomi. Il va plus mal. Tous ces cahots ne sont pas recommandés.
— C’est possible, lui répondit Judith, mais je crois que c’est la chaleur de la route qui l’affecte le plus.
Elle passa un linge humide sur son visage et son cou, puis sur sa main intacte et son avant-bras. Quand elle déplaça le bandage posé sur sa jambe, elle fronça les sourcils.
— Il faut s’occuper de sa blessure. Et nous devons reconstituer nos réserves d’eau fraîche.
— Comment va votre patient, maîtresse Judith ? lui demanda le capitaine de la garde ainsi qu’il le faisait souvent depuis le début du voyage.
— Pas très bien. Nous devons nous arrêter prendre de l’eau et panser sa plaie.
— Son Excellence m’a prié de m’assurer qu’il reçoive les meilleurs soins, et j’y veillerai, même s’il est encore tôt. Mais l’endroit n’est pas idéal pour une halte.
— Non, dit Judith en regardant autour d’elle, je suis de votre avis, capitaine.
— À une demi-lieue d’ici, la route s’élève pour conduire à un bosquet de part et d’autre d’une rivière. Nous y trouverons de l’ombre et de l’eau fraîche, pour lui et les bêtes.
— Mais nous venons de dépasser un cours d’eau. Je me suis étonnée que vous ne nous ayez pas fait arrêter pour au moins nous permettre de prendre un peu d’eau.
— Il est boueux et d’un cours trop lent, maîtresse Judith. Je n’y abreuverais pas les bêtes si je pouvais en trouver un meilleur. Celui dont je vous parle est clair et rapide, nous nous y arrêterons, dit-il avec fermeté.
Effectivement, peu de temps après, la route s’éleva et le vent souffla à nouveau. Derrière eux, les retardataires et leurs gardes supplémentaires les rattrapaient doucement. Felip décrocha l’instrument qu’il portait dans le dos et se mit à jouer. Andreu but un peu d’eau à une outre et chanta. Bientôt la moitié des marcheurs se joignirent à eux. Les mules avançaient d’un pas pesant dans la côte, puis elles atteignirent le bosquet et son ruisseau limpide.
Gilabert fut transporté jusqu’à un endroit paisible et frais, sous un chêne, et Raquel défit aussitôt les bandages qui recouvraient sa cuisse. Les palefreniers emmenèrent boire les mules, et chacun se mit à l’écart pour se laver le visage, les mains, bien souvent les pieds et le reste du corps.
Isaac envoya chercher le capitaine de la garde.
— Votre patient semble poser des problèmes, dit ce dernier. Je le lis dans les regards de tous.
— C’est tout à fait exact. Sa blessure s’est rouverte. Nous l’avons nettoyée et couverte une fois de plus d’herbes cicatrisantes, mais même une seule heure de repos avant de repartir lui serait profitable.
Il s’arrêta de parler et attendit une réponse. Comme celle-ci ne venait pas, il poursuivit.
— Je me rends bien compte, capitaine, que ce n’est pas le moment idéal pour faire halte. La journée est chaude et le sera encore plus avant peu. Cela nous obligerait à voyager quand nous devrions nous reposer.
— Ah, nous ferons contre mauvaise fortune bon cœur, s’exclama le capitaine. Je n’aimerais pas voir mourir ce jeune homme parce que j’aurais épargné une heure ou deux de soleil à cette bande de paresseux. De plus, la route redescend bientôt vers la plaine, comme vous le savez certainement. Le soleil sera chaud, certes, mais la progression plus facile, et un petit vent marin devrait se lever. Prévenez-moi quand vous voudrez repartir. J’ai certains préparatifs à assurer.
Sur ce, le capitaine partit à grandes enjambées vers les chariots. Les cuisiniers bavardaient à l’ombre d’un arbre.
— Je crains, leur dit-il sans préambule, que nous ne devions nous attarder quelque temps ici. Le jeune homme va de plus en plus mal. Je préférerais ne plus m’arrêter ensuite. Nous n’atteindrions jamais Barcelone.
— Combien de temps reste-t-on ? demanda le chef cuisinier.
— Une heure ou plus.
— Bien. Nous avons le temps de préparer un repas qui se mangera
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