Antidote à l'avarice
froid plus tard. Nous n’avons assurément pas parcouru plus de deux lieues et demie ou trois lieues.
— Ce serait trop beau. Nous ne sommes qu’à deux lieues de Sant Pol. J’escomptais faire deux fois plus de route avant de m’arrêter.
Les changements de plan furent mis en œuvre avec une vitesse étonnante. Dès que Naomi vit le cuisinier de l’évêque faire du feu, elle appela Abraham, et son propre dîner fut en route. Les palefreniers laissèrent paître les bêtes, les gardes jetèrent un coup d’œil rapide au site et le reste du groupe s’éparpilla à l’ombre.
Chacun s’installa confortablement pour somnoler, à l’exception des cuisiniers qui travaillaient et des gardes qui fouillaient lentement les lieux à la recherche d’un éventuel danger. Cela accompli, ils firent leur rapport et se séparèrent à nouveau pour monter la garde. Le capitaine regarda le sergent et secoua la tête.
— Cet endroit ne vous plaît pas ? demanda le sergent.
— Au contraire, mais nous devrons nous arrêter une fois encore. Vous le savez très bien. Que nous les pressions ou non, nous n’arriverons jamais ce soir à Barcelone, dit-il en désignant vaguement les chariots.
— Eh bien, nous passerons la nuit sur la route, répondit le sergent, philosophe. Mais, au moins, nous aurons eu une heure ou deux de repos.
Ce qui rendit l’attaque, quand elle survint, d’autant plus étonnante. Les cuisiniers de l’évêque surveillaient la cuisson d’un plat de riz et de lentilles tout en bavardant paresseusement. Les moines leur avaient donné du pain frais, de la viande froide et un bon fromage en guise d’accompagnement ; il n’y avait que peu à faire, sinon attendre que le plat refroidisse. Naomi cherchait à rivaliser avec eux en confectionnant du riz au safran. La senteur des épices mêlée à celle de la mer et de la prairie était des plus agréables.
Isaac prépara pour Gilabert une autre décoction destinée à apaiser sa douleur et sa fièvre et, enfin, il dormit profondément. À ses côtés, Judith l’éventait et somnolait un peu. Non loin, Raquel s’étirait sur l’herbe et écoutait Yusuf parler du voyage, des moines, du splendide cheval noir et de tout ce qui pouvait lui passer par la tête. Elle dérivait entre sommeil et éveil.
Les bêtes étaient rassemblées tout près, à l’endroit où la prairie rencontrait le bouquet d’arbres, en un point d’herbe abrité de l’éclat du soleil. Elles paissaient, dormaient ou regardaient tout simplement l’espace qui les entourait, parfaitement en paix avec le monde. Elles étaient confiées à trois enfants – les garçons d’écurie n’étaient pas très âgés –, trois enfants qui dormaient profondément, insouciants et fatigués. Les deux palefreniers étaient invisibles.
Les religieuses étaient assises ensemble dans une petite dépression, les unes à côté des autres comme trois gros oiseaux noirs sur une branche, et parlaient à voix basse. À vrai dire, Sor Marta et l’abbesse s’adressaient à Sor Agnete, qui se contentait de remuer le pied et de secouer la tête d’un air rebelle. Le garde assigné à la surveillance de Sor Agnete s’était un peu éloigné pour embrasser du regard la colline et le creux du vallon. Il avait l’impression qu’il était plus important d’observer l’horizon que de suivre leur conversation. Le prêtre était assis à côté de lui.
— C’est un endroit bien solitaire ici, dit ce dernier à voix très basse. Je n’ai pas envie de me joindre à l’abbesse. Vous permettez que je vous tienne compagnie ?
— Bien sûr, fit le garde que cela ennuyait précisément. Je dirais que l’abbesse n’est pas très agréable.
— Agréable ? Vous ne me croiriez pas. Surtout en ce moment. Je n’aime pas beaucoup voyager. Particulièrement sur cette maudite mule. Je n’ai pas demandé à suivre les religieuses, elles sont vraiment impossibles, mais malgré tout j’ai un bon poste et…
Il se rendit soudain compte qu’il manquait de discrétion, rougit, grommela quelques mots et se leva avec beaucoup de dignité.
Le garde le contemplait avec un amusement à peine dissimulé quand le craquement d’une branche sèche sous un pied mit tous ses sens en éveil. Du coin de l’œil, il vit quelque chose qui le fit instantanément bondir sur ses pieds.
Deux hommes d’allure imposante, armés de longs poignards et apparemment inconscients de sa présence, avaient surgi
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