Antidote à l'avarice
ceux taillés pour vos frères trop bien nourris.
— Un habit de franciscain, Votre Excellence ?
— De franciscain, de dominicain, peu importe. Quoique cela me plaise de le voir vêtu comme vous, Bernat.
— Je vais rentrer chez mon parent et préparer le jeune homme, dit Isaac.
— Et faire vos adieux à votre épouse ainsi qu’au reste de la famille, ajouta Berenguer. N’oubliez pas que je vous attends ici après dîner, avec armes et bagages !
— Voyons, Isaac, vous ne pouvez pas partir. Pas aujourd’hui. Tout le monde se réunit pour le sabbat.
— Ma chère Judith, je suis venu à Tarragone non pour rendre visite à ma famille, aussi charmante soit-elle, mais en tant que médecin de l’évêque. Il me fait demander. J’obéis. Vous me représenterez très bien, je le sais. Il me faut m’occuper de la main de Don Gilabert. Il part sur l’heure pour la maison d’un parent.
— Je croyais qu’il n’avait plus de famille, dit Judith d’un air soupçonneux.
— Pas de famille proche. Mais des cousins assez éloignés qui vont l’héberger jusqu’à ce qu’il se remette complètement.
Il l’embrassa affectueusement et se prépara à partir.
— Vous pourriez autoriser votre sœur à faire à nouveau usage de son lit nuptial, maintenant que je n’y serai plus, ajouta-t-il. Au revoir, ma mie. Je suis tout près d’ici et l’on peut m’appeler – si besoin est, uniquement. Je serai là en un instant.
— Isaac…
— Au revoir, ma chère Judith.
Il appela Raquel et emprunta l’escalier jusqu’à la chambre où Don Gilabert ressassait des idées noires.
— Les chairs ont guéri, dit Isaac après avoir prudemment ôté le bandage de la main du jeune homme. C’est ce qui me préoccupait le plus. Les os mettront davantage de temps à se ressouder et il convient de continuer à les protéger.
Raquel remit les bandes en place.
— C’est fait, papa.
— Bien. Dès que nous aurons examiné votre blessure à la jambe, vous pourrez endosser votre nouveau déguisement.
— Et quel est-il ? demanda Gilabert.
— Celui d’un moine. L’habit va arriver. Vous le passerez, puis vous fuirez à cheval en compagnie de deux gardes jusqu’au château d’Altafulla, où vous vous cacherez aussi longtemps que nécessaire.
— Quelle raison le châtelain a-t-il de risquer sa vie pour moi ?
— Il doit beaucoup à Son Excellence, mais je ne saurais dire la nature de sa dette. Peut-être ne s’agit-il que d’amitié. Raquel, panse à nouveau sa jambe. Je dois retourner parler à ta mère.
— Je ne désire pas partir d’ici, dit Gilabert dès que le médecin eut quitté la pièce. Mais je comprends maintenant qu’en restant ici je mets en danger votre vie et votre sécurité. Quelle bonne idée que je doive m’esquiver habillé en moine ! M’apporterez-vous le petit coffret posé là sur la table ? ajouta-t-il sans même reprendre son souffle.
En silence, Raquel s’exécuta.
Il l’ouvrit et en tira une chaînette en or.
— Prenez-la, s’empressa-t-il de dire. Ceci me lie à vous, quoi qu’il nous arrive. Je sais que vous devez vous marier, et moi de même. Sinon mes terres n’auront pas d’héritier. Mais même ainsi, nos âmes ne font qu’une, et ceci les enchaîne dans l’amour. Portez-la dans vos cheveux et pensez à moi parfois.
Raquel prit la chaînette et sortit en courant.
Mais, au moment où Gilabert enfourchait la jument baie devant la maison de Joshua, Raquel s’approcha de lui.
— Don Gilabert, je crains que votre poignet ne soit pas assez bandé pour un tel exercice. Donnez-le-moi.
Il retira son bras de l’écharpe et le tendit. En un geste rapide, elle sortit une chaînette finement ciselée de la manche où elle l’avait dissimulée et l’enroula autour de son poignet.
— Puisse ceci vous protéger, monseigneur, murmura-t-elle en levant les yeux vers lui. Mes prières vous accompagnent.
C’est ainsi que, dans la chaleur et l’effervescence de midi, un franciscain monté sur une jument baie, un paquet accroché derrière sa selle, franchit les portes de Tarragone sans attirer l’attention des passants. Derrière lui, deux soldats, sales mais détendus, chevauchaient côte à côte, en grande conversation. Dès que la foule fut moins importante, le moine fit mettre sa jument au trot, puis au petit galop. Les soldats se rendirent apparemment compte qu’ils avaient, eux aussi, une tâche à accomplir, et ils
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