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Apocalypse

Apocalypse

Titel: Apocalypse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Giacometti
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que je verrais le dessin ce soir même avant la cérémonie, je ne tenais plus en place. Et quand il m’a dit que la personne qui l’apporterait serait le policier français qui l’avait retrouvé, j’ai mis ma plus belle robe.
    Elle avait posé une bouteille de champagne sur la petite table basse, avec deux coupes écarlates en cristal de Bohème.
    — Merci à vous, madame Lévy.
    — C’est moi qui vous remercie ! À mon âge, c’est un plaisir de recevoir un homme séduisant. Ah, si vous saviez, quand j’étais plus jeune, ces messieurs se battaient pour ma compagnie. Comme ce temps est loin ! Mais, je vous en prie, débouchez-nous donc ce Bollinger. Je l’avais gardé pour de grandes occasions. En voilà une.
    Antoine prit la bouteille et fit sauter le bouchon en prenant soin de ne pas faire couler le liquide sur les napperons de la table. Il versa une coupe à son interlocutrice et remplit la sienne à moitié.
    — Trinquons, monsieur Marcas.
    — À votre santé, madame.
    — Appelez-moi Hannah.
    — Santé, Hannah.
    Ils reposèrent les coupes. La vieille femme le fixa d’un regard intense.
    — Puis-je le voir ?
    — Bien sûr, dit Marcas en extrayant délicatement le dessin recouvert d’une enveloppe buvard marron clair.
    Hannah chaussa de petites lunettes et sortit le dessin de sa protection. Elle le prit entre ses mains, son regard semblait scruter chaque détail, s’attardant sur les courbes des personnages, le ciselé des traits, la profondeur de la perspective. Ses doigts caressaient la texture presque craquante du papier jauni par le temps. Puis elle ferma longuement les yeux, comme endormie. Tout à coup, elle murmura :
    —  Et in Arcadia ego … Savez-vous où je me trouve, monsieur Marcas ?
    — À Jérusalem, répondit-il prudemment.
    Elle leva le dessin vers son visage pour l’approcher presque jusqu’à sa bouche, comme si elle inspirait une senteur connue d’elle seule.
    — Non, en Arcadie. Je cours dans les couloirs de notre maison de campagne en France, à côté d’Arques, un petit village non loin de Carcassonne. Le dessin est dans un cadre de verre au-dessus du bureau de mon père. Il est assis sur sa chaise qui craque, une pipe à la bouche, une main sur un livre ancien. J’ai huit ans, il me permet de lui tenir compagnie pendant qu’il lit ses ouvrages précieux. Ma grande sœur Sarah joue au bord du ruisseau. C’était le bonheur, personne ne nous voulait de mal.
    Elle ouvrit les yeux : une perle liquide coula le long de sa joue puis tomba sur le papier, à l’emplacement du visage du berger. Ses doigts se crispaient sur le dessin qu’elle posa sur la table.
    — Je suis stupide. Le sel de mes larmes risque d’abîmer le papier.
    Marcas lui tendit un mouchoir.
    — Votre réaction est toute naturelle. Vous n’avez pas revu ce dessin depuis plus de soixante ans.
    Hannah caressa encore une fois de sa main le papier jauni par le temps.
    — C’est incroyable comme tous les souvenirs affluent grâce à ce simple bout de papier. Tant de belles choses. Nous étions vraiment en Arcadie. Notre paradis avant l’enfer.
    — Vous voulez me raconter ?
    — En 1941, à cause des lois antijuives, mes parents ont quitté la zone occupée pour se réfugier dans la maison familiale, dans le Sud. C’était horrible à Paris, nous n’avions même plus le droit de jouer dans les jardins publics. Une fois, j’avais caché mon étoile jaune pour assister à une représentation de Guignol au parc du Luxembourg. Un officier allemand s’est assis à côté de moi pour assister au spectacle. Je n’ai jamais eu autant peur de ma vie, je ne suis pas restée jusqu’au bout alors que les autres enfants riaient aux éclats. Eux, ils avaient le droit de rire, pas nous. Quand mon père n’a plus eu le droit d’exercer à l’hôpital, nous sommes passés en zone libre… qui ne l’est pas restée très longtemps, d’ailleurs.
    Elle but à nouveau une gorgée de champagne.
    — Nous étions dans cette maison refuge, dans l’Aude. Un jour, deux hommes sont arrivés en fin d’après-midi dans une voiture noire. Ils disaient qu’ils étaient des policiers français qui venaient de Toulouse. Ils ont demandé à voir mon père qui n’était pas là. Alors ils l’ont attendu. Je me souviens qu’ils étaient très polis. Il y en a même un qui m’a donné un carré de chocolat. Quand mon père est revenu, ils sont passés dans son bureau. Ma mère et moi, on a

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