Apocalypse
serrée se tenait le dossier d’accusation. Toute la vie de la Pucelle. Il prit la première page.
«… Née à Donrémy, en 1410, le dix-septième jour de…»
Il en saisit une autre au hasard.
« Nous, Norbert de Villeroy, inquisiteur des Dominicains, avons entendu Jeanne, dite la Pucelle, qui nous a affirmé être bonne chrétienne et avoir, durant toute sa jeunesse, révéré et honoré les saints reconnus de l’Église. Elle affirme avoir une dévotion toute particulière pour Marie Madeleine. Interrogée par nous, elle dit s’être rendue en pèlerinage sur le tombeau de la sainte qui s’est manifestée à elle et lui a révélé sa véritable mission…»
Cauchon jeta la feuille sur la table. Cette fille était folle ! Il se dirigea vers l’oratoire et s’agenouilla. Il avait besoin de prier pour retrouver des forces. Les jambes nues sur la dalle, il fixa l’autel où se dressait un tableau peint sur bois : une Crucifixion réalisée par un artiste italien. L’évêque cherchait l’inspiration divine : il devait purger l’Église et le monde de cet objet de scandale : cette Pucelle maudite. Ses yeux s’embuaient tandis qu’il regardait la Passion du Sauveur. Les clous qui déchiraient ses mains, la couronne dont les épines faisaient ruisseler le sang. Autour du Christ, ses compagnons éplorés soutenaient la mère de Dieu, la Vierge Marie. À gauche de la Croix, penchait un olivier au large tronc dont le ramage noueux occupait tout l’arrière du tableau. Suspendu à une branche, un corps décharné flottait dans le vide tandis qu’à ses pieds une bourse laissait échapper des pièces d’or.
Cauchon se pencha vers le tableau. Le visage tourné vers le supplicié, Judas semblait en extase. Un sourire de haine lui balafrait la face comme un coup de faucille.
Deux coups discrets venaient de heurter le bois de la porte. Cauchon se signa et alla ouvrir. Guy d’Arbrissol venait d’arriver.
— Monseigneur, j’ai des nouvelles !
— Bonnes, j’espère ? interrogea l’évêque.
— Elles devraient vous satisfaire. Monseigneur, hier soir j’ai bu et parlé avec un des officiers du château.
— Lequel ? demanda l’évêque soupçonneux.
— Saviez-vous, monseigneur, que le château a été construit par des anciens qui étaient fort méfiants ?
Cauchon ouvrit les yeux comme si on se moquait de lui. Décidément ce d’Arbrissol était un insolent. Le déranger pour lui donner un cours d’histoire de l’architecture ! Guy vit le regard interloqué de son auditeur et se dépêcha d’effacer cette impression néfaste.
— J’entends par là que les premiers constructeurs du château se méfiaient autant des gens de l’extérieur que de l’intérieur.
— Mais que veux-tu dire à la fin ? explosa l’évêque.
Le chevalier ploya la tête sous l’orage qui s’annonçait et débita son discours à toute vitesse.
— J’ai appris que des couloirs secrets parcouraient la totalité du château. Ce matin, je m’en suis fait montrer certains. La plupart sont bouchés ou effondrés, mais l’un d’eux, justement, longe sur toute sa circonférence la salle où la Pucelle est enfermée.
— Une coursive inconnue ? s’exclama l’évêque.
— Oui, les anciens s’en servaient pour espionner leurs prisonniers. Dissimulés dans ces couloirs, ils écoutaient les conversations. Des gens méfiants… et habiles.
— Et tu l’as parcourue ?
— J’en ai seulement reconnu l’entrée, monseigneur. Plus loin la voûte s’est effondrée. Mais je suis certain qu’avec un bon maçon…
Cauchon ne le laissa pas continuer. Il se précipita vers la porte pour héler ses domestiques.
— Il faut absolument boucher cette entrée que tu as découverte. Aujourd’hui même.
— La boucher, monseigneur, vous êtes fou ?
Le mot frappa l’évêque comme une gifle. Il se retourna comme piqué par un serpent.
— Tu as dis quoi, misérable ?
— Je dis que si vous ordonnez de boucher cette coursive, vous vous privez à jamais d’en finir avec cette Jeanne qui vous obsède tant !
— En finir avec la Pucelle, tu veux dire…
— La condamner au bûcher ! Voilà ce que je veux dire.
De nouveau, Cauchon s’était agenouillé dans l’oratoire. Pendant que ses lèvres murmuraient silencieusement une oraison, son esprit revenait sur les révélations du chevalier. Il avait eu tort de négliger ce jouvenceau, de le prendre pour un
Weitere Kostenlose Bücher