Au bord de la rivière T4 - Constant
remplaçant du curé Désilets décida que cela suffisait et il accepta d’être ramené par le notaire au presbytère.
— Si ça vous fait rien, monsieur l’abbé, il va falloir que vous passiez tout seul cet après-midi et même demain toute la journée parce que je dois aller rencontrer des clients.
— J’avais entendu dire que vous étiez à votre retraite, s’étonna le prêtre.
— Officiellement, c’est vrai, reconnut l’homme de loi, mais en fait j’accepte encore de rendre service à tous ceux qui veulent bien me confier leurs avoirs pour les faire fructifier… et ils sont nombreux.
— C’est tout à votre honneur, monsieur Valiquette, le félicita l’abbé Farly. Pour cet après-midi et demain, inquiétez-vous pas, je vais me débrouiller, ajouta-t-il.
En fait, Conrad Farly venait de décider d’arrêter là sa visite pastorale. Il était trop évident que les paroissiens de Saint-Bernard-Abbé préféraient recevoir la visite de leur curé et qu’ils le considéraient, lui, comme un étranger de passage qui se mêlait de ce qui ne le regardait pas.
— Je plains le pauvre curé Désilets, dit-il à mi-voix en suspendant son manteau à la patère placée dans l’entrée du presbytère. Si je me fie à ce que j’ai vu cet avant-midi, il y a du monde bien mal élevé dans sa paroisse.
— Est-ce que vous parlez du monde de Saint-Bernard ? lui demanda Bérengère Mousseau en apparaissant subitement dans son dos.
Le vicaire sursauta. Il ne l’avait pas entendue arriver.
— Oui, madame, répondit-il sèchement.
— Vous saurez, monsieur l’abbé, qu’à Saint-Bernard, on n’est pas plus mal élevés qu’ailleurs. Il y a juste que ça nous prend un peu plus de temps à nous habituer aux étrangers.
Sur ces mots, elle tourna les talons et rentra dans sa cuisine.
Il fallut attendre le surlendemain pour enfin apprendre les résultats tant attendus des élections générales, et le moins qu’on pouvait dire fut qu’ils créèrent une onde de choc considérable tant chez les Rouges que chez les Bleus.
Évidemment, l’honneur de les annoncer revint à Paddy Connolly qui connut, ce matin-là, son heure de gloire. À l’arrivée du facteur, le retraité était seul à la maison. Camille et Ann étaient occupées à lever les œufs dans le poulailler.
— J’ai pas dit un mot à personne de l’élection, lui déclara Hormidas Meilleur en lui tendant son journal quotidien. Je vous laisse le plaisir d’apprendre ça au monde de Saint-Bernard.
Le retraité remercia le facteur sans effusion, persuadé que cet honneur lui revenait de plein droit puisqu’il avait été celui qui avait commenté les nouvelles politiques pratiquement chaque jour depuis le début de la campagne électorale.
À sa sortie du poulailler, la maîtresse de maison avait surpris une partie de l’échange entre le facteur et l’oncle de son mari, mais elle se garda bien d’aborder le sujet, peu désireuse de recevoir une leçon de politique.
Par conséquent, sous l’œil goguenard de Camille, Paddy Connolly ne changea rien à sa routine matinale. Après un copieux déjeuner, il monta à sa chambre procéder à sa toilette et il descendit quelques minutes plus tard s’asseoir dans une chaise berçante en adoptant une allure de sénateur. Il alluma son premier cigare de la journée avant d’entreprendre la lecture de La Minerve .
La maîtresse de maison guettait l’oncle de son mari d’un œil malicieux et finit par lui demander s’il n’avait pas hâte d’aller apprendre les dernières nouvelles aux habitués de chez Dionne.
— Quelles nouvelles ? demanda Paddy.
— Voyons, mon oncle, les résultats de l’élection ! fit son hôtesse, surprise par la question.
— Qui t’a dit ça, toi ?
— Mais c’est sur la première page de votre journal.
— Il me semblait que tu savais pas lire, fit-il, stupéfait.
— Bien là, vous vous trompez, mon oncle, lui annonça-t-elle. Je sais lire et Ann aussi. C’est elle qui m’a montré, à part ça, ajouta-t-elle, pleine de fierté.
— Ouais, rétorqua Paddy, l’air un peu dégoûté. Moi, les femmes instruites, j’ai jamais eu ben confiance à ça.
— Et c’est pour ça que vous êtes resté vieux garçon, aussi. C’est vrai qu’une servante qui sait juste torcher, c’est bien plus pratique, pas vrai, mon oncle ?
Le vieux célibataire désagréable ne jugea pas bon de répliquer. Il replia posément son journal et
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