Au bord de la rivière T4 - Constant
meule.
Ceux qui crurent que Cléomène Paquette avait tiré une leçon de sa mésaventure s’étaient lourdement trompés. Le petit homme réapparut à la fromagerie dès le lendemain après-midi en disant haut et fort que son indigestion de la veille avait été due à ce qu’il avait mangé à son repas du midi. Il sursauta en apercevant la toile qui protégeait maintenant la cuve de fromage en grains, mais il n’eut pas le choix de faire comme les autres clients. Il dut se limiter à une poignée ou deux de fromage, sous le regard goguenard du fromager.
Chapitre 23
Une grande perte
Le mois de mars commença sous d’heureux auspices. La température s’adoucit et il n’y eut aucune chute de neige durant les premiers jours du mois. La neige ne fondait pas encore, mais un ciel uniformément bleu donnait l’espoir de l’arrivée prochaine du printemps.
Chez les Beauchemin, on avait décidé de s’unir pour aller couper la glace sur la rivière et on avait inclus dans le groupe Constant Aubé qu’on considérait déjà comme un membre à part entière de la famille. Pendant une semaine, Xavier, Hubert, Donat, Liam et Rémi quittaient tôt leur ferme pour descendre sur la rivière, non loin du moulin de Constant.
La glace était épaisse de deux bons pieds et conviendrait parfaitement à la conservation de la viande quand le dégel obligerait les ménagères à vider leur coffre de viande pour aller déposer celle-ci sous le grain dont on aurait recouvert la glace, au fond de la grange.
À l’aide de tarières et de scies, les hommes découpèrent des blocs de trois pieds de longueur par deux pieds de largeur qu’ils transportèrent dans la grange de chacun.
Par ailleurs, Marie n’était plus alitée et était un peu plus active depuis quelques semaines, mais elle était demeurée très faible, au point que Bernadette avait dû écrire à l’orphelinat de Sorel pour demander la permission de garder Célina encore quelque temps, ce que la supérieure avait accepté. L’orpheline était demeurée toujours aussi efficace et serviable, ce qui convenait parfaitement à Eugénie qui continuait à s’en remettre à elle pour la plupart des tâches.
Au fil des jours, l’inclination de plus en plus évidente de Hubert pour la jeune fille n’avait pas échappé aux occupants de la grande maison de pierre du rang Saint-Jean. Il ne se passait guère de journée ou de soir où il ne venait rendre visite aux siens.
— Je me demande s’il vient pour voir si vous allez mieux, m’man, ou si c’est pour être certain que Célina est encore là, disait parfois Bernadette, taquine.
— Mêle-toi donc de tes affaires, Bedette Beauchemin, la rembarrait sa mère, chaque fois.
Pourtant, à chaque occasion, Marie avait un sourire énigmatique et jetait un coup d’œil à l’orpheline tout en feignant d’ignorer la rougeur qui envahissait alors les joues de celle-ci. En fait, la veuve de Baptiste Beauchemin avait eu largement le temps de bien mesurer la valeur de Célina durant les deux derniers mois. C’était une fille selon son cœur qu’aucune besogne ne rebutait. Sa générosité, sa piété et son endurance lui plaisaient énormément et elle n’aurait rien demandé de mieux que son fils cadet s’attache à elle. Par ailleurs, elle était heureuse qu’il ait cessé de fréquenter la fille de Télesphore Dionne qu’elle jugeait encore plus prétentieuse que sa mère, ce qui n’était pas peu dire.
Quand arriva le Mardi gras, Bernadette déclara qu’elle aimerait bien aller s’amuser après le souper chez Thomas Hyland, comme la plupart des jeunes de la paroisse. Le maire de Saint-Bernard-Abbé avait annoncé à la fin de la semaine précédente que sa maison serait ouverte à tous ceux et celles qui voudraient danser ce soir-là.
— C’est une bien bonne idée, approuva Eugénie qui, soudain, venait de retrouver toute son énergie. On pourrait laisser Alexis à Célina et y aller.
— Tu y penses pas, s’empressa de lui dire sa belle-mère, avec ta petite santé, c’est une affaire pour tomber malade. Laisse donc ça aux plus jeunes.
— Je suis pas malade, madame Beauchemin, se défendit sa bru.
— Ah bon ! j’avais l’impression que t’étais aussi malade que moi, rétorqua Marie, sarcastique. Et toi, Célina, ça te tente pas d’aller t’amuser un peu ? poursuivit la maîtresse de maison.
— Je sais pas trop, madame. Je connais personne dans la paroisse, fit la jeune
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