Au bord de la rivière T4 - Constant
poêle. Il aurait bien aimé que sa femme se lève un peu avant lui pour faire chauffer le thé, mais il n’y avait rien à faire, elle attendait toujours que Célina vienne la réveiller. Elle n’acceptait pas que sa belle-mère occupe de nouveau la « grande chambre du bas » d’où ils avaient été chassés par la faiblesse cardiaque de la maîtresse de maison.
— Il me semble que monter une ou deux fois par jour dans son ancienne chambre la ferait pas mourir, répétait-elle avec mauvaise humeur.
— C’était sa chambre avant ton accouchement, disait Donat chaque fois qu’il l’entendait se plaindre. T’oublies que c’est sa maison, elle a le droit de choisir sa chambre. Elle, elle nous l’a prêtée le temps que t’étais en famille sans rechigner. À cette heure, elle est malade du cœur, le moins qu’elle pouvait demander, c’était bien de la reprendre pour pas avoir à monter l’escalier. Puis torrieu, arrête de te lamenter pour cette niaiserie-là !
— Malade du cœur ! Malade du cœur ! Je suis sûre que ça fait des semaines qu’elle est correcte.
— Il y a juste à la regarder pour s’apercevoir qu’elle est encore malade, répliquait-il, exaspéré.
Ce matin-là, il entendit Célina frapper à la porte de leur chambre pour réveiller Eugénie au moment où il chaussait ses bottes. Il endossa son manteau, alluma un fanal et quitta la maison en direction de l’étable. Peu après, Eugénie, Bernadette et Célina descendirent dans la cuisine. Pendant que la première entreprenait de mettre le couvert pour le déjeuner, les deux autres s’habillèrent pour aller nourrir les animaux et prêter main-forte à Donat.
Après le train, le soleil était levé. Tous les trois rentrèrent à la maison, prêts à manger l’omelette aux grillades de lard cuisinée par une Eugénie déjà fatiguée qui venait d’installer Alexis à table. Bernadette monta rapidement à sa chambre pour changer de vêtements et ainsi être prête à temps pour l’école.
— M’man est pas encore levée ? demanda l’institutrice à Eugénie en s’approchant de la table.
— Je l’ai pas réveillée, répondit sa belle-sœur. Elle a dû mal dormir, je l’ai laissée se reposer, la chanceuse.
— Je vais aller voir si elle veut déjeuner avec nous autres, fit Célina en déposant une miche de pain sur la table.
La jeune fille alla frapper discrètement à la porte de la chambre située au pied de l’escalier. L’occupante ne répondit pas. Elle frappa de nouveau sans plus de résultat. Elle ouvrit alors doucement la porte et s’avança vers le grand lit qui occupait pratiquement les deux tiers de la pièce. Elle aperçut alors Marie Beauchemin, étendue sur le dos, le visage violacé et la bouche ouverte.
— Madame Beauchemin ! Madame Beauchemin ! Est-ce que vous m’entendez ? demanda-t-elle en la secouant doucement par une épaule.
Aucune réaction. La veuve de Baptiste Beauchemin ne bougea pas. Affolée, l’orpheline se précipita hors de la chambre.
— Venez vite, dit-elle d’une voix altérée à Bernadette, Eugénie et Donat qui venaient de prendre place à table. Je pense que madame Beauchemin est morte.
— Voyons donc ! s’écria Bernadette, incrédule, en quittant rapidement le banc sur lequel elle était assise.
Son frère et sa belle-sœur la suivirent de près et pénétrèrent derrière elle dans la chambre. Le spectacle qu’ils découvrirent ne laissait guère de doute : Marie Beauchemin était vraiment morte durant son sommeil. Bernadette s’écroula sur le lit et secoua sa mère, pour la réveiller. Elle était en proie à une véritable crise de nerfs.
— M’man ! M’man ! Réveillez-vous, pour l’amour du ciel !
Donat dut intervenir pour lui faire lâcher prise.
— Lâche-la, Bedette, lui ordonna-t-il en s’essuyant les yeux. Tu vois ben qu’elle est partie.
— Il y avait personne avec elle ! s’écria la jeune femme en se mettant à pleurer convulsivement.
— Regarde son visage, elle a pas l’air d’avoir souffert, dit Donat pour tenter de la consoler.
Célina s’approcha d’elle pour la soutenir.
— Qu’est-ce qu’on va faire ? s’enquit Eugénie, la figure décomposée.
— Je vais d’abord atteler et aller prévenir monsieur le curé pour qu’il vienne lui donner l’extrême-onction, décida Donat. Après, j’irai avertir la famille. Vous autres, pendant ce temps-là, vous pourriez peut-être faire
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