Au bord de la rivière T4 - Constant
et la terre vous appartiennent pas plus parce qu’elle restera plus avec vous autres. Elle peut décider de la vendre ou de la louer à des purs étrangers et alors, vous aurez pas le choix de ramasser vos guenilles et d’aller vous faire voir ailleurs.
À ce moment-là, Catherine apparut dans l’escalier pour demander à son mari de venir l’aider à descendre les affaires de sa mère qui avaient été mises dans des taies d’oreiller.
— J’aimerais bien emporter mon rouet, mon métier à tisser et mon dévidoir, dit Laura, sur un ton légèrement suppliant, au moment de partir.
— Il y a pas de problème, madame Benoît, on est venus en voiture exprès au cas où il y aurait des grosses affaires à transporter.
— Et moi, qu’est-ce que je vais faire sans rouet et métier à tisser ? s’enquit Marie-Rose, réalisant tout à coup la perte qu’elle allait subir.
— Tu te débrouilleras, répondit sèchement sa belle-mère.
Xavier transporta avec l’aide de sa femme tous les bagages de sa belle-mère. À l’instant où il franchissait la porte de la maison pour la dernière fois, Cyprien s’avança vers lui, l’air menaçant. Laura et sa fille avaient déjà pris place dans la voiture et attendaient.
— Toi, tu vas me payer ça un jour, lui dit-il.
— Ça fait deux ans que tu me le promets, rétorqua Xavier, moqueur et pas du tout impressionné. Je te l’ai déjà dit et je te le répète : n’importe quand, n’importe où. Là, tu peux pas savoir à quel point tu me ferais plaisir. J’ai ben envie de te sacrer tout de suite la volée de ta vie juste pour te faire comprendre qu’on ne lève pas la main sur sa mère ni sur personne, maudit sans-cœur.
— Elle, je veux plus la revoir ici.
— T’oublies encore que c’est sa maison et qu’elle va y revenir n’importe quand pour venir chercher ce qu’elle veut. T’es mieux de te rappeler aussi qu’elle peut te faire jeter dehors, toi et ta noiraude, demain matin si elle veut.
Sur ces mots, Xavier lui tourna le dos, claqua la porte et alla rejoindre les deux femmes. Moins d’une heure plus tard, Laura Benoît était installée chez sa fille.
Finalement, au grand étonnement des anciens, la débâcle se passa sans causer trop de dégâts, malgré l’épaisseur des blocs de glace enchevêtrés qui descendaient le courant à une vitesse folle. Plus d’un avait prédit un embâcle à la hauteur des moulins et du pont, mais il n’en fut rien au plus grand soulagement de Constant et de Thomas Hyland. Il y eut bien quelques éboulis du côté du rang Sainte-Ursule, mais ils furent minimes.
Cependant, les quatre jours de pluie forte qui accompagnèrent la libération des eaux de la Nicolet marquèrent la fin de la période des sucres. La montée de la sève dans les érables se produisit au début de la semaine sainte et les cultivateurs durent se résigner à ranger les seaux et les chalumeaux et à fermer leur cabane à sucre.
— J’aurais bien continué à faire du sirop une semaine de plus, déclara Emma, un peu déçue.
— Sacrifice, on en a fait plus que quinze gallons, répliqua Rémi, c’est déjà presque deux fois plus que l’année passée et…
Des coups frappés à la porte coupèrent la parole au maître de la maison et l’incitèrent à aller ouvrir à son voisin et beau-frère qui venait veiller avec Célina.
Celle-ci s’empressa de retirer son tablier et vérifia son chignon du bout des doigts. Emma, l’œil moqueur, la regarda allumer une lampe à huile, prête à passer au salon. Pour la taquiner, elle lui murmura :
— Ce serait peut-être pas une mauvaise idée de jouer aux cartes à soir, qu’est-ce que t’en dis ?
— J’ai rien contre, Emma, vous pouvez le demander à Hubert, répondit l’orpheline.
— Mais non, je te taquinais.
Hubert entra dans la cuisine et déposa un morceau de fromage sur la table avant de retirer son manteau. Le regard qu’il adressa à Célina ne laissait aucun doute : il était très amoureux de la jeune fille. Il salua sa sœur et embrassa son neveu et ses deux nièces. Depuis que leur oncle venait veiller trois fois par semaine chez les Lafond, c’était le signal de l’heure du coucher pour Flore, Joseph et Marthe. Célina et Emma montèrent les enfants à l’étage pour les mettre au lit malgré leurs récriminations, laissant les deux beaux-frères échanger des nouvelles. Maintenant, il n’était pas rare que Hubert trouve un
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