Au bord de la rivière T4 - Constant
Valiquette s’il avait la chance, un jour, de lui mettre la main dessus ? Au lever du soleil, un fait était clair : il ne lui restait plus que son vieux cheval et son boghei. Pour tout arranger, ce jour-là était le jour de la semaine où il devait payer sa pension à Camille.
À midi, il mangea sans appétit et attendit que Camille soit seule avec Ann en train de laver la vaisselle sale pour lui dire sur un ton emprunté qu’il aimerait lui parler dès qu’elle aurait une minute de libre. Surprise, sa nièce par alliance se borna à hocher la tête.
Quand Ann quitta la cuisine d’été pour aller s’occuper de Damian qui venait de s’éveiller dans son berceau, Camille se tourna vers l’oncle de son mari pour lui demander ce qui se passait.
— Tu te rappelles que j’avais placé tout mon argent chez le notaire Valiquette ? fit-il, la voix embarrassée.
— Oui, mon oncle. Inquiétez-vous pas, on va attendre qu’ils le retrouvent ou qu’il revienne pour parler de pension, ajouta-t-elle pour le rassurer.
— T’es ben fine, dit-il, reconnaissant.
Une semaine plus tard, Paddy Connolly fut le premier à apprendre la nouvelle dans La Minerve et il faillit avoir un malaise. Tous ses espoirs de recouvrer son argent étaient anéantis. Quelques jours plus tôt, des cultivateurs avaient retrouvé le corps d’un voyageur dans un fossé, sans papiers et sans bagages. Les policiers, appelés sur les lieux, avaient finalement mis la main sur une vieille carte d’identité donnant une fausse adresse à Montréal. On avait émis un avis de recherche, mais personne ne s’était manifesté et l’homme avait été enterré dans une fosse commune.
Le retraité relut plusieurs fois le compte-rendu avant d’atteler son cheval à son boghei et de prendre la direction du magasin général, le journal enfoui dans une poche, pour aller communiquer la mauvaise nouvelle aux gens qu’il trouverait chez Dionne.
— On dirait ben que la police de Québec a retrouvé Valiquette il y a quinze jours, si je me fie à ce que je viens de lire dans le journal, dit Paddy, que ça fasse notre affaire ou pas.
— Enfin ! s’écrièrent quelques personnes, on sait où est-ce qu’il était passé.
— Je pense qu’il nous reste juste à faire le deuil de notre argent, annonça-t-il aux gens présents en adoptant un ton de voix résigné. Même si on sera jamais certains que c’était ben lui parce que le corps était pas mal magané, ajouta le vieux retraité. Il paraît qu’il s’était fait voler tous ses bagages et qu’il a été enterré dans une fosse commune, précisa Paddy.
— Pauvre homme ! ne put s’empêcher de dire une jeune cliente.
— Moi, j’ai ben de la misère à avoir pitié de lui, répliqua Paddy. Il me reste plus une maudite cenne de ce que j’ai ramassé durant toute ma vie. Je suis pas comme la plupart de vous autres, poursuivit-il. Il me reste même pas un toit sur la tête. J’avais confié à Valiquette tout ce que j’avais ramassé dans ma vie. L’argent de mes cinq maisons de Montréal que j’ai vendues l’hiver passé et toutes mes économies.
— Moi, je te comprends, affirma Télesphore Dionne, qui n’avait pas cessé de clamer haut et fort depuis la disparition d’Eudore Valiquette qu’il avait perdu une grosse somme aux mains de l’homme malhonnête.
— Tu peux pas vraiment comprendre, le rembarra sèchement l’oncle de Liam. Là, je reste chez mon neveu qui a déjà de la misère à faire vivre cinq enfants. C’est ben humiliant de demander la charité, rendu à mon âge.
Sur ces mots, Paddy quitta péniblement l’un des grands bancs en bois installés sur la galerie du magasin, salua de la main les personnes présentes et monta lentement dans sa voiture. Ce coup du mauvais sort l’avait profondément atteint.
Après son départ, la réaction des gens fut beaucoup plus mitigée qu’on aurait pu s’y attendre. À croire que la plupart des investisseurs spoliés avaient déjà fait le deuil de leurs économies.
À son arrivée à la maison de son neveu du rang Saint-Jean, tout était calme. Les enfants étaient partis cueillir des fraises sous la supervision de leur sœur Ann alors que Camille équeutait celles cueillies durant la matinée. Malgré la chaleur infernale qui régnait dans la cuisine d’été parce qu’il fallait bien chauffer le poêle pour cuisiner les confitures, l’oncle prit son courage à deux mains et s’assit à un bout
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