Au bord de la rivière T4 - Constant
d’une voix peu convaincante.
— Pour moi, tu vieillis, plaisanta l’épouse de Liam Connolly. Du temps que tu recevais un cavalier, tu te couchais pas si tôt que ça.
— …
— Je veux pas faire ma tante Mathilde, mais est-ce que ça te tente pas de t’en faire un nouveau ?
— C’est pas si facile que ça quand t’as été fréquentée par quelqu’un durant un an, laissa tomber Bernadette.
— Pourquoi t’essayes pas de faire revenir Constant Aubé, si c’est comme ça ? Après tout, c’est un beau parti et un homme qui a du cœur et qui est aimé par tout le monde dans la paroisse.
— C’est peut-être ça, le problème. Il y a trop de monde qui l’aime, fit sa sœur. Il y a Laurence comtois, par exemple.
— Voyons, Bedette, ils sont pas encore mariés. Laurence a beau avoir la réputation d’être une bonne fille, il y a rien qui dit que Constant veut pas te revenir. Penses-y bien.
Sur ces mots, Camille quitta sa sœur et alla rejoindre sa mère et ses invités tout en la plaignant secrètement d’avoir à supporter sœur Marie du Rosaire durant une semaine entière. Elle se promit même d’essayer de persuader son frère Donat d’aller conduire leur tante à son orphelinat de Sorel dès mercredi ou jeudi pour soulager leur mère.
Ce soir-là, Constant Aubé ne veilla pas très tard chez les Comtois du rang Saint-Paul. À peine venait-il de prendre place sur la galerie entre Laurence et son père que ce dernier s’excusa pour aller aux bâtiments voir une génisse malade. Étrangement, aucun des trois frères ni aucune des deux sœurs de la jeune fille ne vint prendre la place laissée libre pour les chaperonner.
— Qu’est-ce que ton père a à soir ? demanda-t-il à voix basse à la jeune fille. On dirait qu’il a une ben petite façon.
— Il est gêné à cause de ce que je vais te dire, lui avoua sans ambages l’orpheline un peu grassouillette assise à ses côtés.
Le cœur du jeune meunier eut un raté et c’est la gorge sèche qu’il lui demanda :
— Qu’est-ce que t’as à me dire qui fera pas mon affaire ?
— Écoute, Constant, poursuivit Laurence en baissant la voix. Je vais t’expliquer quelque chose…
Est-ce que, encore une fois, une fille allait lui donner congé ?
— …Quand ma mère est morte il y a cinq ans, je me préparais à entrer au noviciat des Ursulines à Trois-Rivières. Comme ma sœur Thérèse avait juste onze ans, je pouvais pas partir comme ça et laisser mon père prendre soin tout seul de mes frères et de mes deux sœurs. Je suis restée pour les élever du mieux que j’ai pu. À cette heure, Thérèse a seize ans et est aussi capable que moi de s’occuper des jeunes et de l’ordinaire.
— Je comprends, fit Constant d’une voix éteinte.
— Quand t’as commencé à venir veiller avec moi au mois de juin, je t’ai bien dit que t’étais mon premier cavalier et il y a pas eu de promesse entre nous deux.
— C’est vrai, reconnut-il.
— Là, j’ai écrit il y a deux semaines au noviciat pour demander si on était toujours prêt à me prendre, même si j’avais dépassé vingt ans. Les religieuses m’ont répondu de venir les voir. Mon oncle Amable m’a emmenée à Trois-Rivières samedi matin et je suis revenue juste cet après-midi. C’est pour ça que j’étais pas à la messe avec mon père à matin.
— Puis ? demanda Constant avec une certaine impatience dans la voix.
— J’entre demain après-midi au noviciat, déclara la jeune fille. Je veux pas que tu m’en veuilles ou que tu penses que c’est ta faute si je pars, ajouta-t-elle, l’air un peu malheureux. C’est ma vocation. J’ai toujours voulu devenir une Ursuline. Ça veut pas dire que je t’aime pas, mais l’appel du bon Dieu est plus fort.
Sonné bien plus qu’il ne l’aurait voulu, Constant se leva lentement, le visage un peu blafard. Il lui souhaita bonne chance d’une voix blanche et monta dans son boghei pour rentrer chez lui.
Chapitre 11
Quelques désagréments
En ce deuxième lundi de septembre, le jour se leva sous un épais ciel gris. Dès les premières lueurs de l’aube, le coq des Beauchemin lança un « cocorico » sonore qui eut le don d’encourager ses congénères des deux côtés de la rivière à se lancer dans des imitations plus ou moins réussies. S’ensuivirent les meuglements de vaches impatientes d’être traites et les hennissements de chevaux s’ébrouant dans leur
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