Au Coeur Du Troisième Reich
passer outre à ses ordres.
Ma nomination au poste de ministre de l’Armement me poussa naturellement à m’intéresser davantage à ce grand projet. Hitler pourtant continuait à se montrer extrêmement sceptique : il éprouvait une profonde méfiance vis-à-vis de toutes les innovations qui, comme l’avion à réaction ou la bombe atomique, dépassaient l’horizon des générations de la Première Guerre mondiale et l’introduisaient dans un monde qui lui était inconnu.
Le 13 juin 1942, les chefs de l’armement des trois armes de la Wehrmacht, le Feldmarschall Milch, l’amiral Witzell et le général Fromm, se rendirent en avion à Peenemünde avec moi pour observer le lancement d’une fusée téléguidée. Dans une forêt de pins, au milieu d’une clairière, se dressait devant nous, haut comme une tour de quatre étages, un projectile qui semblait irréel. Le colonel Dornberger, Wernher von Braun et son état-major attendaient avec autant d’impatience que nous le résultat du premier lancement de la fusée. Je savais quels espoirs le jeune inventeur plaçait dans cette expérience, qui pour lui, comme pour son équipe, servait moins à mettre une arme au point qu’à réaliser un pas en avant vers la technique de l’avenir.
De légères vapeurs indiquaient qu’on était en train de remplir les réservoirs de carburant. A l’heure prévue, comme en hésitant tout d’abord, puis en faisant entendre un rugissement de géant déchaîné, la fusée décolla lentement de sa table de lancement, sembla posée pendant une fraction de seconde sur son jet de feu avant de disparaître dans un hurlement dans les couches basses de nuages. Wernher von Braun rayonnait, moi par contre je restai confondu devant ce miracle de la technique, sa précision, l’abolition de toutes les lois de la pesanteur grâce à laquelle il était possible de propulser verticalement dans l’atmosphère ces 13 tonnes sans guidage mécanique.
Les spécialistes nous expliquaient à quelle distance se trouvait le projectile, lorsqu’une minute et demie plus tard un hurlement qui s’amplifiait rapidement nous indiqua que la fusée tombait tout près de nous. Nous restâmes pétrifiés, tandis que la fusée percutait le sol à un kilomètre de distance. Le guidage n’avait pas fonctionné, ainsi que nous l’apprîmes plus tard. Mais les techniciens étaient contents, le problème le plus ardu pour eux, celui du décollage, ayant été résolu. Cependant, Hitler continua à manifester des « doutes de la plus grande gravité » et exprima son scepticisme, car il ne croyait pas qu’on pût « jamais garantir » le guidage de la fusée 8 .
Le 14 octobre 1942, je pus lui annoncer que ses doutes n’avaient plus de raison d’être : la deuxième fusée avait parcouru avec succès la distance prévue de 190 kilomètres et s’était écrasée directement dans la région-cible, à 4 kilomètres du but. Pour la première fois, un engin qui portait témoignage de l’esprit d’invention de l’homme avait effleuré le cosmos à une altitude de plus de 100 kilomètres. Cette prouesse technique semblait constituer un pas vers un rêve. Alors seulement Hitler se montra vivement intéressé. Comme toujours dans ces cas-là, il formula immédiatement des exigences exorbitantes. Il ordonna de prévoir 5 000 projectiles dont on pourrait « disposer pour une intervention massive » lors de la première mise en service de la fusée 9 .
Après ce succès je fus chargé de veiller à ce que la production en série commence bientôt. Le 22 décembre 1942, je fis signer à Hitler un ordre en conséquence, bien que les fusées ne fussent nullement assez au point pour que l’on pût envisager de les produire en série 10 . Je pensais pouvoir assumer le risque afférent car, d’après l’état des recherches et d’après les promesses des spécialistes de Peenemünde, nous devions d’ici juillet 1943 disposer en temps voulu des données techniques définitives.
Au matin du 7 juillet 1943, je convoquai Dornberger et von Braun de la part de Hitler au quartier général : Hitler voulait être renseigné sur les détails des V 2 . Nous nous rendîmes ensemble, après que Hitler eut terminé une conférence, jusqu’à la salle de projection où quelques collaborateurs de Wernher von Braun avaient tout préparé en vue de faire une démonstration du projet. Après un bref exposé d’introduction, la salle fut plongée dans
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