Au Coeur Du Troisième Reich
restait, tout autant que moi et beaucoup plus que les uns et les autres nous ne nous l’imaginions, prisonnier des conceptions propres au régime national-socialiste. Ayant servi ce régime pendant plus de douze ans, nous pensions que ce serait d’un opportunisme facile que d’effectuer un virage brutal. La mort de Hitler, toutefois, nous avait délivrés de cette crispation intérieure qui, pendant si longtemps, nous avait empêché de garder la tête froide. Ainsi, chez Dönitz, le pragmatisme de l’officier de carrière prit bientôt le dessus. Dès la première heure, il fut d’avis que nous devions simplement terminer cette guerre aussi vite que possible et que, cette tâche accomplie, notre travail serait fini.
Dès le 1 er mai 1945, lors d’une des premières conférences d’état-major, Dönitz, nouveau commandant en chef de la Wehrmacht, s’opposa au Feldmarschall Ernst Busch. Celui-ci en effet voulait attaquer les troupes anglaises marchant sur Hambourg avec des forces supérieures aux nôtres, tandis que Dönitz considérait que toute offensive était inopportune. Il pensait qu’on devait seulement protéger le chemin que devaient emprunter, pour se rendre à l’ouest, les réfugiés venus de l’est et massés près de Lübeck ; les troupes allemandes engagées à l’ouest ne devaient offrir de résistance que pour gagner le temps nécessaire à la réussite de cette opération. Busch reprocha alors violemment au grand amiral de ne pas agir dans l’esprit de Hitler. Mais Dönitz ne se laissa plus troubler par de tels arguments.
Bien que, le 30 avril, il ait dû, à la suite d’une altercation avec le nouveau chef de l’État, renoncer à garder dans le nouveau gouvernement son ancienne position de force, Himmler, dès le lendemain, réapparut sans s’être fait annoncer au quartier général de Dönitz. Comme il allait être midi, Dönitz l’invita à déjeuner avec nous. Il n’y avait là aucune marque d’intimité mais, malgré l’antipathie qu’il éprouvait pour Himmler, Dönitz aurait trouvé très impoli de sa part de traiter soudain avec mépris un personnage la veille encore si puissant. Himmler venait annoncer que le Gauleiter Kaufmann avait l’intention de rendre Hambourg sans combat et qu’on imprimait un tract préparant la population à l’entrée imminente des troupes britanniques. Dönitz s’en montra fort irrité car, disait-il, si chacun n’en faisait qu’à sa tête, son mandat n’avait plus aucun sens. Je m’offris à aller trouver Kaufmann.
Celui-ci, protégé, au siège du Gau, par une garde composée d’étudiants, ne montrait pas moins d’agitation que Dönitz : il m’apprit que le commandant de la place avait reçu l’ordre de défendre Hambourg, et que les Anglais, eux, avaient lancé un ultimatum, menaçant, si la ville ne se rendait pas, de la faire bombarder par leur aviation comme elle ne l’avait jamais encore été. « Dois-je, me demanda alors Kaufmann, faire comme le Gauleiter de Brème, qui a lancé un appel à la population pour l’exhorter à se défendre jusqu’au bout, et déguerpi pendant qu’un bombardement aérien rasait la ville ? » Il se déclara, quant à lui, décidé à empêcher qu’on se batte à Hambourg et prêt, en cas de besoin, à mobiliser les masses pour s’opposer par la force à toute défense de la ville. Je mis par téléphone Dönitz au courant de la menace de rébellion ouverte qui planait sur Hambourg. Dönitz demanda un temps de réflexion. Au bout d’une heure environ, il donna au commandant de la place l’ordre de livrer la ville sans combattre.
Le 21 avril, jour où avait été enregistré mon discours à Radio-Hambourg, Kaufmann m’avait proposé de nous constituer prisonniers ensemble. Il renouvela cette proposition. Mais je repoussai sa suggestion, tout comme le projet d’une fuite temporaire que m’avait soumis, naguère, notre pilote de chasse le plus glorieux, Werner Baumbach. Un hydravion, un quadrimoteur à long rayon d’action qui, pendant la guerre, avait, depuis le nord de la Norvège, installé et ravitaillé une station météorologique allemande au Groenland, devait nous débarquer, moi, Baumbach et quelques amis, dans une des nombreuses baies du Groenland où nous aurions, dans ces eaux calmes, laissé passer les premiers mois de l’occupation. Nous avions déjà préparé des caisses de livres, des médicaments, de quoi écrire, surtout beaucoup de papier (car je
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