Au Coeur Du Troisième Reich
voulais déjà commencer à écrire mes Mémoires), des armes et des munitions, mon canot pliant, des skis, des tentes, des grenades pour la pêche et des provisions 1 . Depuis que j’avais vu le film de Udet, SOS-Eisberg , le Groenland était devenu un de mes buts de voyages. Mais, Dönitz étant au gouvernement, je renonçai à ce projet, mélange étrange d’élans romantiques et de réactions de panique.
Sur le chemin du retour, je vis brûler sur le bord de la route des camions et des camions-citernes que venaient de mitrailler des chasseurs anglais volant encore dans le ciel au-dessus de nous. Au cours de la traversée du Schleswig, le trafic se fit plus dense. On voyait pêle-mêle des véhicules militaires, des voituresciviles, des colonnes de piétons civils ou militaires. Parfois reconnu, je n’entendis jamais un mot de mécontentement ; on me faisait plutôt bonne figure, même si les gens restaient sur une réserve apitoyée.
En arrivant le 2 mai au soir à Pion, j’appris que Dönitz, devant la rapidité de l’avance des troupes anglaises, s’était replié sur Flensbourg. Keitel et Jodl, eux, se trouvaient encore là, mais s’apprêtaient à rejoindre leur nouveau maître. Dönitz avait établi son cantonnement sur le paquebot Patria . Nous prîmes le petit-déjeuner ensemble dans la cabine du commandant. J’en profitai pour lui soumettre un projet de décret portant interdiction de détruire les ponts, qu’il signa aussitôt. Je venais ainsi d’obtenir entière satisfaction pour tout ce que j’avais demandé à Hitler le 19 mars. Mais c’était trop tard.
Dönitz avait également tout de suite accepté mon idée de faire un discours, dans lequel j’exhorterais le peuple allemand à mettre dès maintenant toute son énergie à entreprendre la reconstruction dans les territoires occupés ; je voulais par là secouer la léthargie « qui s’était emparée d’un peuple paralysé par l’effroi et l’immense déception de ces derniers mois 2 ». Dönitz exigea seulement que j’aille trouver au nouveau siège du gouvernement, à l’école navale de Mürwick, près de Flensbourg, le nouveau ministre des Affaires étrangères, Schwerin-Krosigk, pour lui soumettre le texte. Celui-ci déclara que l’émission aurait son accord si j’ajoutais sous sa dictée quelques phrases expliquant la politique du gouvernement. On brancha Copenhague et Oslo, les seules stations pouvant encore émettre dans nos territoires, et je lus mon discours dans le studio d’enregistrement de Flensbourg.
Quand je sortis, Himmler m’attendait dehors. D’un air important, il me pressa de considérer que de précieux territoires comme ceux de Norvège ou du Danemark nous restaient encore, et que nous devions en faire les gages de notre sécurité. Ils auraient assez d’importance aux yeux de l’adversaire pour que nous puissions obtenir des concessions en échange de l’assurance qu’on les remettrait intacts. Or, en entendant mon discours, on pouvait conclure que nous abandonnerions ces territoires sans combattre et sans rien demander en contrepartie. J’avais donc fait, selon lui, œuvre nuisible. Par ailleurs, il soumit à Keitel une proposition surprenante : il fallait, disait-il, instituer une censure pour toutes les déclarations du gouvernement ; lui-même accepterait volontiers d’être le censeur. Mais Dönitz avait déjà, ce même jour, refusé d’envisager ce marchandage, que lui avait suggéré de son côté le gouverneur de Norvège, Terboven, et le 6 mai il signa une ordonnance selon laquelle on ne devait plus procéder à des destructions, aussi bien dans les territoires encore occupés de Hollande et de Tchécoslovaquie qu’en Norvège et au Danemark. Il ruina ainsi définitivement cette politique des gages, comme l’appelait Himmler.
Le grand amiral repoussa avec une égale fermeté des projets prévoyant d’abandonner Flensburg, que les Anglais pouvaient occuper d’un jour à l’autre, pour fuir au Danemark ou à Prague et continuer d’y assurer la direction des affaires de l’État. C’est surtout Himmler que Prague attirait : une vieille ville impériale, affirmait-il, était plus appropriée pour abriter le gouvernement que Flensburg, ville au passé historique insignifiant. Il oubliait d’ajouter que, quittant la sphère d’influence de la marine, nous serions tombés, en allant à Prague, dans celle de la SS. Pour couper court à la discussion qui
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