Au pied de l'oubli
qu’il
bénirait à genoux le front, le cou, le ventre de celle qui lui aura fait ce
don.
Gertrude se retourna et accueillit son mari dans ses bras, l’enlaçant, écoutant
avec ravissement les mots d’amour que celui-ci lui murmurait, se délectant des
caresses qu’il lui offrait à son tour.
— Les mouches nous ont trouvés, dit Jean-Baptiste en écrasant bruyamment un
moustique sur ses fesses dénudées.
Le couple réajusta ses vêtements et rebroussa chemin, ramenant avec lui son
petit bonheur qui se donnait des airs de roi du monde quand, pourtant, le même
régnait dans la plupart des foyers.
Chapeau garda Hélène prisonnière contre lui. Elle ne désirait pas qu’il la
libère.
Pensive, Julianna marchait avec vigueur le long de la plage. Les effets de
l’alcool se dissipaient. Elle s’en voulait d’avoir été déplacée. Une femme ne
boit pas. Elle espéra qu’elleavait donné le change et que
personne ne s’était rendu compte de quoi que ce soit. Elle respira à grands
poumons. Elle avait les idées plus claires. Elle avait conscience de la présence
de son patron, un peu derrière elle, mais n’avait aucun désir d’entamer une
conversation avec lui. Yves respectait son silence. Julianna savait que cela ne
durerait pas. La veille, il l’avait prévenue qu’il viendrait chercher sa
réponse... Sur le coup, elle n’avait pas saisi. En le voyant, avec les autres
invités du chalet, crier « surprise », elle avait compris. Il était certain de
la rencontrer le lendemain... Toute la journée, Julianna avait été mal à l’aise.
Comment avait-il osé gâcher ce dimanche d’anniversaire ? La colère monta en
elle. François-Xavier qui lui offrait un simple porte-clés ! Henry qui voulait
construire un château pour Isabelle, alors qu’elle-même habitait encore dans ce
minable appartement de la rue Racine ! Et Gertrude qui lui avait fait honte tout
au long du repas ! Elle mangeait la bouche ouverte, comme une malpropre ! Un
porte-clés, franchement... Ah, tout allait de travers ! Elle n’avait pu parler
de son grand projet à Henry. Quant à Yves, il menaçait de lui faire perdre son
emploi... De toute façon, elle était fatiguée de tenir le courrier du cœur. Tant
de travail… En plus, elle commençait à drôlement se répéter. Parfois, elle
reprenait la même histoire, changeait quelques petits détails et la publiait
ainsi renouvelée. Les lecteurs n’y voyaient que du feu. Tout à coup, Julianna
s’arrêta. Tout en suivant la rive, elle ne s’était pas rendu compte que le lac
accusait une longue courbe qui débouchait sur une crique qu’un ruisseau venant
de la forêt divisait en deux. La brèche était large et inégale, serpentant dans
le sable fin. Elle hésita à franchir l’obstacle. Il était peut-être temps, tout
simplement, de rebrousser chemin. Et puis non ! Elle n’avait pas envie de
retourner au chalet. Relevantsa robe, elle traversa à gué.
L’eau, peu profonde, offrait une véritable invitation au jeu, à laquelle
Julianna ne résista pas. Elle se mit à piaffer, s’éclaboussant en riant.
Décoiffée, les jambes mouillées, elle termina son spectacle d’acrobaties par un
saut en longueur dont elle rata joliment l’atterrissage. Se retrouvant assise à
demi sur la plage, à demi dans l’eau, recouverte de sable collé, Julianna
s’esclaffa. Yves, qui l’avait rejointe, l’aida à se relever. Avant qu’il ne
puisse dire un mot, de ses pieds elle s’amusa à l’arroser. Yves n’appréciait pas
du tout ces agissements infantiles. Il cria :
— Es-tu en train de virer folle, arrête !
— J’ai envie de m’envoler ! Et de danser ! Danse avec moi, Yves, danse !
l’implora-t-elle en s’accrochant à son cou.
— Ma parole, la boisson te fait vraiment pas !
Sans ménagement, Yves la repoussa.
— Reprends sur toi, Julianna, lui ordonna-t-il durement.
Julianna s’immobilisa. Yves la regardait avec mépris, arborant une moue de
désapprobation, de dégoût presque… marquée par la déception. Elle se sentit
ridicule...
Julianna perdit toute trace de joie. Elle baissa la tête de honte. Oui, elle
devait offrir une bien piètre image. Une femme d’un certain âge qui joue à la
coquette, qui se conte des histoires, oui, des histoires à dormir debout. Lasse,
elle soupira.
— Yves, laisse-moi toute
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