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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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en vigueur, si longtemps que vous les jugerez absolues et immuables. Voilà la véritable atrophie de l’âme. Vous hériterez d’un code tout fait, et ce personnage qu’on appelle un «  gentleman  » ne cessera de vous faire la grimace. Ainsi, vous ne manquerez jamais de tenue, mais vous briserez des cœurs et vous vous en vanterez. Vous ne ferez de tort à personne, mais vous vous en ferez à vous-même, car vous n’oserez jamais réduire en cendres vos conventions. Vous ne direz jamais de mensonges, – des mensonges faciles à éviter, – mais vous aurez toujours peur de la vérité.Vous ne vous demanderez jamais pourquoi vous suivez telle ligne de conduite ; vous la suivrez parce que c’est ce qui est admis. Croyez-moi, c’est le passé qui est responsable de tout cela ; l’héritage, la tradition, l’éducation, votre nurse, votre père, votre précepteur, votre école, Chevron, vos ancêtres, toute la gamme. Vous êtes condamné d’avance, mon pauvre Sébastien, vous êtes perdu. Même si vous tentiez de briser vos entraves, ce serait en vain. Entre vingt et trente ans, on dira que vous « jetez votre gourme » ; à partir de trente ans, on vous qualifiera de ce mot commode : « l’original ». Un « gentilhomme original », vous ne pouvez prétendre à rien de plus. Vous aurez beau tourner dans votre orbite, vous n’en sortirez jamais.
    — Les planètes non plus, dit Sébastien en regardant Jupiter.
    — C’est une analogie trompeuse, dit Anquetil ; le firmament a de la grandeur et peut-être de l’organisation, mais l’humanité, quoique chétive, a de l’indépendance et de la hardiesse. J’aime l’humanité. Croyez-moi, Sébastien, vous ne bondirez jamais jusqu’aux étoiles ; vous ne dépasserez même pas les limites de votre parc. Vous êtes gardé, – gardé par des planches de chêne plusieurs fois centenaires.
    — Autre analogie trompeuse, dit Sébastien ; vous vous égarez dans un flot de paroles.
    — Ah ! mais avouez qu’il y a de quoi perdre la tête ! J’ai été invité par votre mère dans un cadre tout indiqué pour cela. Songez à mon passé. Je sors de la plus humble famille ; mon souper dépendait du succès de la pêche ; souvent, j’ignorais si mon père était mort ou vivant. Quand il m’arrive de retourner à lamaison, il faut que j’adapte mes pensées et même mon langage, car je ne sais pas, au juste, qui je suis ni à qui j’appartiens. Mais ce week-end m’a appris une chose : c’est que je n’appartiens pas à Chevron. Je vous avoue sans honte que ces deux jours m’ont parfois bouleversé. J’ai découvert une certaine beauté là où je m’attendais à trouver une farce. Il y eut même des moments où je me suis senti lâche, perdu, prêt à renier mes convictions les plus farouches. Vous et votre Chevron étiez pour moi quelque chose de nouveau, différent du monde de votre mère. Il se dégageait de vous un charme pareil à un parfum. Je ne dis pas que ce charme vous soit particulier… Il doit être commun aux jeunes gens de votre classe… Ah ! vous n’aimez pas que je parle de classe ? Cela vous gêne ? Chez vous, c’est une chose qu’on passe sous silence… j’offense vos bonnes manières… Eh bien, je m’en moque. Voilà mon heure, et je veux en tirer tout ce que je peux. Quant à vous, il faut bien que vous acceptiez d’écouter la vérité une fois dans votre vie. D’ailleurs, je ne vous insulte pas. Je suis en train de vous dire que je ressens profondément le charme d’un jeune homme comme vous, maître d’un immense domaine, léger, plein de grâce, avec des siècles d’ancêtres légers et pleins de grâce derrière lui. Vous ne vous rendez pas compte, naturellement, de l’effet que vous produisez ; cela fait partie de votre charme, mais c’est aussi un danger. Jeune homme hautain, splendide et insolent, l’inquiétude ne s’est-elle jamais glissée comme un pou entre votre chemise et votre peau ?… Rappelez-vous, plus tard, que j’aurai fait de mon mieux pour l’y mettre.
    — Mais, que voulez-vous que je fasse ? murmura Sébastien.
    Anquetil le regarda. Aux yeux de Sébastien, il avait l’air d’un diable, avec ses touffes de cheveux noirs hérissés de chaque côté de son visage, et la cicatrice qui courait de sa bouche à son oreille. Mais Sébastien savait qu’il préférait Anquetil à tous les gens qu’il avait jamais rencontrés.
    — Que voulez-vous que je fasse ?

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