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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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qu’elle avait le privilège de servir, son éducation première l’avait assez marquée pour lui faire pousser de temps en temps quelques soupirs.
    Lady Roehampton était très belle, sans doute, et « on savait ce qu’étaient les jeunes gens », (Mme Wickenden n’avait jamais approché un jeune homme à moinsde trois mètres), mais elle ne pouvait s’empêcher de regretter que le choix de Sa Grâce ne se fût porté sur une douce jeune fille, car il y aurait eu un mariage dans la chapelle, et peut-être (mais Mme Wickenden était trop bien élevée pour le dire) une nouvelle nursery à Chevron.
    Mme Wickenden avait invité sa belle-sœur pour soulager son cœur. Martha Wickenden était une confidente rêvée. Bien qu’elle ne fît plus partie de la maison (elle avait été, jadis, fille d’office à Chevron et ses travaux lui chatouillaient encore le bout des doigts), elle suivait, grâce à ses alliances, chaque événement, petit ou grand, avec un intérêt fidèle et passionné, et sa discrétion était à toute épreuve. C’était pour elle un vrai bonheur d’être conviée aux thés hebdomadaires de son illustre belle-sœur ; car elle n’adorait pas seulement le plum-cake, elle aimait aussi partager le prestige de la gouvernante, quand celle-ci sonnait et disait d’un ton pompeux : « Apportez du charbon », sonnait encore pour « demander de l’eau chaude » et sonnait une dernière fois pour « faire tirer les rideaux ». Elle aimait s’étendre sur le divan et regarder les photographies accrochées dans leurs cadres : Lucie en robe de mariée ; le feu duc en « chevalier de la Jarretière » ; un groupe représentant le roi, coiffé d’un chapeau Homburg, et Lucie assise à ses côtés ; Sébastien en petit garçon ; Sébastien et Viola dans un toboggan sur la neige ; Sébastien en uniforme. La gouvernante ne s’étendait jamais sur le divan. Elle était assise raide sur sa chaise, tirée à quatre épingles, retenant frileusement son châle autour de ses épaules, car elle avait toujours froid. Parfois elle avait la migraine (elle disait : « unede mes migraines », faisant précéder le mot d’un adjectif possessif et presque affectueux) ; alors, elle frottait son front avec un bâton de menthol qui habitait dans sa corbeille à ouvrage, vissé dans un tube de bois jaune. Mme Wickenden ne laissait jamais ces petites distractions interrompre la conversation. D’une voix basse, monotone, lugubre, elle continuait à parler, comme si son unique fonction eût été de se lamenter. En l’écoutant, vous auriez cru que le somptueux Chevron était imprégné d’une tristesse mortelle et que les enfants étaient condamnés à une tragique destinée. Sébastien était son favori. Elle parlait de Viola avec le respect qu’il fallait, mais avec une certaine réserve, car, au fond d’elle-même, elle la trouvait hautaine. Mais Sébastien ! Combien de fois s’était-elle glissée dans la nursery, malgré les regards courroucés de la nurse, pour lui fabriquer des poupées quand il avait un rhume ! Hélas ! Elle avait toujours pensé qu’il n’atteindrait pas l’âge d’homme ! Encore à présent, elle soutenait qu’il ne serait pas longtemps de ce monde ! Plus d’une fois, la femme du charpentier, qui avait un tempérament robuste, hasardait un mot de protestation :
    — Je vous assure, Jeanne, que je n’ai jamais vu un jeune homme plus solide que Sa Grâce.
    Mais Jeanne ne voulait rien entendre.
    — C’est peut-être votre avis, répliquait-elle, mais vous ne l’avez pas entendu, comme moi, tousser, chaque hiver. Ah ! ma chère, c’était lamentable ! Et les courants d’air qui soufflaient dans les couloirs ! Et le froid qui montait des dalles ! Ils ne pensaient pas à tout cela, dans le temps !… Et maintenant, avec cette vie de débauche !… ajouta-t-elle d’un air sombre…
    Martha, pinçant les lèvres, hochant la tête, baissa le nez sur sa tasse de thé… Elle savait que cette allusion était le prélude au moment le plus délicieux de l’après-midi… Elle savait que Jeanne était sur le point d’entreprendre le récit des aventures de Sa Grâce…
    * * *
    Lady Roehampton n’était plus tout à fait jeune, mais elle était encore, non sans se donner quelque mal, une jolie femme. Depuis l’âge de dix-huit ans, elle avait été courtisée par tous les hommes (soit que ce fût passion réelle, soit snobisme) et elle était

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