Au temps du roi Edouard
Londres cherchassent à le prendre au piège, et il était revenu d’Oxford en déclarant qu’il ne voulait pas y retourner, mais entrer dans la cavalerie royale le plus vite possible.
Lucie pensait que Léonard Anquetil n’était pas si responsable que Sylvia Roehampton : comment ce rustre aurait-il pu lancer Sébastien dans une vie si dissipée ? La liaison de Sébastien et de lady Roehampton était, naturellement, connue de tout le monde ; si certaines personnes la condamnaient, Lucie n’était pas tout à fait de leur avis. Sylvia apprendrait beaucoup de choses à Sébastien et le mettrait à l’abri d’aventures moins souhaitables… De plus, par l’entremise de Sylvia, Lucie pourrait faire glisser à l’oreille de son fils des conseils qu’elle n’aurait pas osé lui donner de vive voix. Enfin, Sylvia, superbe et triomphante, était une maîtresse fort enviable, bien qu’elle irritât souvent Lucie par ses airs supérieurs et entendus.
Les deux femmes avaient ensemble de longues conversations ; Sylvia répondait négligemment par des « Ah ! » ou des « Certes ! » mais elle était ravie, allongée sur le sofa, d’écouter Lucie, en achevant, de ses mains exquises et gracieuses, une interminable broderie. Ces mains, minuscules et souples, qui devaient fondre sous l’étreinte comme les pattes d’un chat, Lucie les regardait maintenant avec envie, songeant combien Sébastien devait les adorer. Elle, quin’avait jamais regardé chez une femme que ses robes, apprit à étudier son amie ; elle crut deviner chez Sylvia, semblable à une rose épanouie, libre, généreuse, un nouvel éclat, un nouveau feu dans le regard, une douceur nouvelle sur sa bouche… D’où venait cette chaleur ? Était-elle amoureuse de Sébastien ? Cela, c’était impossible de le savoir, car, – inutile de le dire, – aucune allusion n’était jamais faite aux véritables relations de Sylvia et de Sébastien.
— Que vous êtes bonne pour Sébastien ! disait Lucie, jouant à la mère reconnaissante. C’est si gentil à vous, chérie, de vous laisser encombrer par ce garçon qui pourrait être votre fils – un garçon si novice, si maladroit ! J’espère que George n’est pas contrarié de le voir toujours autour de vous. Renvoyez-le-moi, s’il vous gêne.
Au fond, Lucie était enchantée. Un jeune homme ne devait-il pas commencer sa carrière amoureuse avec une femme plus âgée que lui ? En choisissant Sylvia, Sébastien avait fait preuve de goût. Lucie n’était pas du tout gênée qu’ils s’exhibassent sans vergogne ; elle considérait cela d’un œil cynique et était flattée de cette liaison. Bien sûr, il ne faudrait pas que celle-ci se prolongeât trop longtemps. Un apprentissage n’était pas une carrière. Mais, en attendant, elle était heureuse que Sébastien se brûlât aux derniers feux de Sylvia.
Quant à Sylvia, sa chère amie, elle ne s’en inquiétait pas. Sylvia avait assez d’expérience pour savoir ce qu’elle avait à faire. Qu’elle fût amoureuse ou non, on pouvait se fier à elle. Elle saurait éviter les ennuis. Si George, un jour, ouvrait des yeux si commodément fermés jusqu’ici, Lucie connaissait assez son amie poursavoir qu’elle empêcherait le scandale. Le code était formel. Dans un monde aussi fermé, chacun faisait ce que bon lui semblait, pourvu que rien ne transpirât… Il fallait respecter les apparences, sinon la morale. Sylvia connaissait cette loi tacite et lui avait toujours obéi. Lucie pouvait être tranquille… Mais elle aurait sans doute frémi si elle avait su à quel point Sylvia était amoureuse de Sébastien.
* * *
Si le secret de Sébastien était connu de sa mère, il l’était aussi des gens de Chevron. L’aventure du jeune maître avait été commentée à l’office par tous les serviteurs. Puisque le cinquième duc de Chevron avait fait scandale sous la reine Anne, pourquoi Sa Grâce ne suivrait-elle pas son exemple, si ça lui plaisait ? Ainsi parlait Mme Wickenden, cherchant à étouffer la petite voix qui lui rappelait les leçons apprises sur les genoux de sa mère. Sa mère lui avait répété que les jeunes mariées baissent les yeux devant les messieurs qui ne sont pas leurs maris, et que les jeunes gens réservent leurs soins aux jeunes filles qu’ils ont l’intention d’épouser ; bien qu’une longue expérience eût appris à Mme Wickenden que des principes très différents réglaient la société
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