Au temps du roi Edouard
peu ordinaire. Quand Sébastiendisait tranquillement qu’il allait passer quelques jours à Chevron, elle savait par expérience que la bataille était perdue ; s’il disait qu’il allait partir, il partait. Sylvia n’avait qu’à s’incliner. En se rappelant ceci, sa seule consolation était de se dire qu’elle avait toujours deviné qu’il avait une passion pour Chevron. « Je ne suis pas si bête, après tout », songeait-elle, avec une humilité nouvelle et pathétique. Mais son orgueil s’effondrait quand elle reconnaissait qu’elle n’avait jamais réussi à le faire parler de Chevron. Et s’il lui cachait cela, que lui cachait-il encore ?
Elle finit par chasser ces inquiétudes qui n’étaient pas dans sa nature : Sylvia avait sur les gens des conceptions plus simplistes. Cependant, les allusions de Mme Lewison l’avaient conduite à observer et à réfléchir. Quand, par la suite, ils eurent des querelles d’amoureux, si rapide et si délicieuse que fût la réconciliation, Sylvia ne manqua pas de remarquer chez Sébastien une certaine âpreté qui l’effraya, l’attira d’autant plus vers lui, et ajouta un nouveau péril à l’incertitude de ces violentes journées. Elle savait maintenant qu’elle ne tenait que par un fil cet être inquiet et dangereux et cette certitude l’excitait en même temps qu’elle la terrifiait. « C’est ça, vivre ! » s’écriait-elle, en proie à une telle exaltation qu’elle aurait voulu hurler ; puis, retombant dans un désespoir morne, elle pensait qu’un jour on lui arracherait Sébastien, comme les années lui déroberaient sa beauté.
* * *
Lord Roehampton n’était certes pas l’homme qui convenait à cette jolie femme. On le tolérait à cause d’elle, car il était lourd et ennuyeux, et Lucie avait raison de n’en point vouloir comme voisin de table. Les seules personnes qu’il fréquentât étaient son entraîneur de Newmarket et le garde-chasse de son domaine de Norfolk ; avec eux, il pouvait se livrer à ses occupations favorites, regarder les pouliches trotter dans le paddock et les faisans courir à la lisière de ses bois ; avec eux, il limitait ses remarques aux avantages que chevaux et oiseaux pourraient lui apporter.
— Une chance pour Oaks, disait-il.
Ou bien :
— Et ces maudits renards ?
Ceux qui connaissent les lords Roehampton d’Angleterre croiront aisément que ces brèves remarques ne représentaient qu’une infime partie du plaisir qu’il prenait à marcher dans le paddock et à travers ses champs. Bien qu’il eût été incapable de l’exprimer, il aimait les prés avec leurs piquets blancs, les tendres pouliches, le voisinage des bois et des champs de blé, les feuilles de navet lourdes de pluie. Il tirait de ces choses une satisfaction muette qu’il ne lui arriva jamais de confier à quiconque.
Si ses jouissances étaient silencieuses et limitées, ses principes étaient également simples et tacites. Il y avait des choses qu’on ne devait pas faire, et voilà tout. Il ne fallait pas prendre la meilleure place quand on chassait chez soi, il ne fallait pas regarder les cartes de son voisin, ni ouvrir ses lettres, ni supporter qu’il vous trompe avec votre femme. C’étaient là des principes que tout le monde connaissait et qu’on ne pouvait discuter. Lord Roehampton avait des idées très nettes au sujet de sa femme. Il était fier d’avoir épousé la plus belle créature de Londres, et, jugeant que son goût des choses mondaines était bien excusable chez un être destiné par la nature à l’admiration des hommes, il était heureux de la combler de tout le luxe nécessaire à son épanouissement. Bijoux, robes, fourrures, elle avait tout ce qu’elle désirait. Nul ne pouvait dire qu’il n’appréciait pas son épouse. Il consentait même à passer la « saison » à Londres, bien que son cœur regrettât douloureusement Norfolk et le blé nouveau en ces jours ensoleillés de mai et de juin. D’ailleurs, Sylvia le récompensait par d’autres égards ; ainsi, elle insistait souvent pour qu’il prolongeât son week-end à la campagne tandis qu’elle retournait à Londres, voguer somptueusement sur l’océan des fêtes qui n’étaient pour lui que fatigue et contrainte. Songez qu’elle avait tenu à aller seule au bal de la cour, pour ne pas le priver d’un important marché de veaux à Norfolk !
— Peu de femmes, songeait-il avec gratitude, auraient agi
Weitere Kostenlose Bücher