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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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tellement habituée aux compliments qu’elle n’y attachait pas plus d’importance qu’au lever et au coucher du soleil. Maintenant qu’elle avait atteint l’âge moyen, les compliments, quoique aussi nombreux, avaient subi quelques nuances ; les femmes disaient :
    — On ne croirait jamais que votre Marguerite a dix-huit ans.
    Et les hommes :
    — Pas une jeune fille ne pourrait rivaliser avec votre beauté.
    Sylvia souriait d’un air lointain, mais elle frissonnait intérieurement, car elle ne goûtait pas du tout la nouvelle note d’étonnement qui se glissait dans leur admiration. Être admirée parce qu’on est belle, et l’être parce qu’on est « encore » belle, c’est tout différent.
    Sylvia n’appartenait pas à cette espèce de femmes qui, à mi-chemin de leur existence, peuvent changer d’habitudes et commencer une vie nouvelle. Si elleétait morte à trente ans, les gens auraient pleuré son tragique destin ; ils auraient dû plutôt s’apitoyer sur la tragédie d’une vie qui continuait à quarante-deux ans, âge auquel Sylvia se pinça cruellement les doigts dans le piège qu’elle avait tendu à Sébastien.
    C’étaient les derniers feux de sa jeunesse perdue, mélange d’ardentes joies et de folles terreurs. Pendant cette « saison » de 1906, elle fut à la fois plus heureuse et plus misérable qu’elle ne l’avait jamais été. Tout ce qu’elle aimait le plus lui venait en même temps : la vie brillante de la saison de Londres, les foules, les couleurs, la chaleur des rues pendant la journée, les frais balcons de nuit, les maisons pleines de fleurs, les gens qui entraient et sortaient, montaient et descendaient des escaliers, le faste, le luxe, la richesse, l’élégance et, pour couronner tout cela, la certitude que, partout, elle rencontrerait Sébastien, et qu’il serait à ses côtés, attentif, dominateur, parfaitement correct, posant sur elle un long regard chargé de toute leur intimité. Elle ne demandait rien de plus. Sa tête était aussi vide que belle. Pour Sylvia, comme pour la plupart de ses amies, la vie de plaisir comblait tous ses souhaits ; ni les livres, ni l’art, ni la musique n’avaient de valeur à ses yeux, sauf comme sujets de conversation. Elle allait quelquefois à une exposition de peinture et on la voyait souvent dans sa loge à l’Opéra ; mais elle ne s’intéressait pas plus aux tableaux et à la musique qu’aux chevaux d’Ascot. Elle ne lisait jamais et, en réalité, on parlait peu de livres chez les gens qu’elle fréquentait ; leur babillage n’exigeait, grâce au ciel, qu’une certaine finesse, car il roulait uniquement sur des gens qu’on connaissait et qu’on était fier de connaître. Sylvia et ses amies appartenaientà une sorte de franc-maçonnerie que chacun respectait et gardait jalousement. Ainsi nul n’ignorait que les Templecombe, quoique en apparence les meilleurs amis du monde, avaient fait scandale en 1880 et que lord Templecombe, ayant découvert Harry Tremaine dans la chambre de lady Templecombe, n’avait plus adressé la parole à sa femme, sauf en public, depuis vingt ans. La morale s’était bien un peu relâchée depuis ces temps austères, mais le code régnait toujours : on ne respectait qu’un commandement, c’était le onzième. Chacun savait, par exemple, que lorsqu’un coupé discret, attelé d’un cheval, attendait devant une certaine porte, on ne devait pas sonner, car la dame était occupée. Les apparences ainsi sauvegardées, il était délicieux de fréquenter journellement des gens aussi avertis que soi-même.
    Mais un jour, Julia Lewison fit entrer le doute dans l’esprit de Sylvia : « Que pensait Sébastien de tout cela ? » Sylvia ne s’était jamais posé la question. « Est-il possible, songea-t-elle, que je ne sache pas qui il est ? » et Sébastien, avec son charme, son « chic », son extravagance, lui apparut soudain comme une énigme. Elle se rappela avec quelle intensité il posait parfois sur elle son regard : elle avait toujours trouvé à cela l’explication qu’elle souhaitait ; mais maintenant, elle était perplexe. Que retournait-il ainsi dans sa tête ? Des pensées hostiles, perfides ? Elle se rappela leurs petites querelles, au cours desquelles elle s’était toujours heurtée à une obstination morne qui déjouait toutes ses ruses ; or, pour Sylvia, un jeune homme qui résistait aux désirs de sa maîtresse était un jeune homme

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