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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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demi-heure, chaque fois qu’elle voyait Sébastien s’avancer, accordait-elleimmédiatement une danse à un autre. Ainsi, au premier bal royal de la saison, donna-t-elle un bonheur inespéré à des gens qu’elle avait pour habitude de vouloir ignorer.
    * * *
    Il l’attrapa enfin, et Alice, assise à côté de sa mère (car personne, semblait-il, ne l’avait invitée à danser), murmura à l’oreille de lady O… que c’était là le jeune homme dont ils avaient tant entendu parler. Comme il avait l’air gâté, méprisant ! Comme il était beau, si brun dans son uniforme au col de pourpre ! Et quel corps élancé, quelles jambes longues et fines dans cette culotte collante à bande d’or ! La tête d’Alice était pleine à éclater. Mais lady O… regarda Sébastien d’un œil sévère et chercha instinctivement des yeux lady Roehampton, qui flirtait avec deux autres jeunes gens, répondant à peine à la requête pressante, mais respectueuse, de Sébastien.
    Tout à coup, cependant, Sylvia parut céder ; elle posa sa main sur le bras de son amant, abandonna les deux jeunes gens, et se laissa entraîner dans le tourbillon des danseurs. Alice les regarda s’éloigner et fut complètement ahurie lorsque sa mère déclara vertement que le monde moderne était une pourriture.

IV
    Sylvia
    Étant donné ses principes, lord Roehampton fut bouleversé de recevoir, un jour, un paquet qui contenait une vingtaine de lettres adressées à sa femme par Sébastien. Un simple coup d’œil suffit à lui révéler la vérité et il rejeta brusquement le paquet dans le tiroir de son bureau, comme un serpent qui l’aurait mordu. Puis il s’enfonça dans son fauteuil et regarda le tiroir. Toutes les pensées communes aux messieurs dans sa situation commencèrent à envahir son esprit : l’incrédulité de l’honnête homme fut suivie d’une certitude encore hésitante, cette incertitude fit place à l’indignation traditionnelle, cette indignation à la colère du mâle, et cette colère à une simple douleur humaine. Lord Roehampton regardait le tiroir, et il était malheureux. Si Sylvia était entrée à ce moment-là, il lui aurait certainement tout dit ; mais il eut letemps de se ressaisir, de réfléchir et de décider qu’il ne fallait rien faire avec précipitation. Il demeura un long moment effondré dans son fauteuil, puis il se secoua, tira lentement des clefs de la poche de son pantalon, en choisit une, la mit dans la serrure, ferma le tiroir, remit les clefs dans sa poche et monta chez lui sans hâte.
    * * *
    Bien qu’il ne s’intéressât guère à sa personne, il savait du moins, à cinquante ans, que le fonctionnement de son cerveau était chose laborieuse et qu’il lui fallait beaucoup de temps pour assimiler une idée nouvelle ou prendre une décision. Il ne put s’empêcher de songer qu’on abusait de lui et qu’on aurait dû, tout au moins, l’avertir. Arrivé au sommet de l’escalier, il était également arrivé à cette conclusion, qu’il prendrait huit jours pour réfléchir. Il fallait d’abord s’habituer à plusieurs vérités : que Sylvia le trompait, qu’elle l’avait probablement déjà trompé, qu’une personne au moins (l’expéditeur des lettres) le savait. Ce ne fut pas avant le milieu de la nuit qu’il lui apparut comme évident que tout le monde le savait aussi et l’avait toujours su, excepté lui. Bon conservateur, il avait pour principe que rien ne doit être fait à la légère : devant l’écroulement de sa vie privée, cet axiome résistait. Il s’y cramponna, après la tempête qui avait failli lui faire perdre l’équilibre. « Une semaine pour réfléchir… » Cette simple phrase ramena en luiun certain calme ; l’affaire était secrète entre lui et son tiroir ; personne n’avait besoin de savoir ce qui se passait entre lui, ses principes, son cœur, et sa conscience. Il était parfaitement entraîné à la discrétion. En accompagnant Sylvia dans un dîner, ce soir-là, il ne fut pas tenté, dans la voiture, de lui révéler la vérité, comme c’eût été le cas d’un homme moins maître de soi.
    * * *
    Pendant la semaine qui suivit, lord Roehampton n’eut pas beaucoup de mal à tenir ses bonnes résolutions. Sébastien vint déjeuner deux fois chez lui et dîner une fois, avant un petit bal. Lord Roehampton, du bout de la table, ne le regardait certes pas comme un homme rongé de jalousie ; lord Roehampton ne souffrait pas tant

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