Au temps du roi Edouard
situation magnifique, mais terrible ; car on savait que le roi, si content qu’il fût, se lassait vite, et se mettait alors à tambouriner de la main sur le bras de son fauteuil ou sur la table. Quel abîme il y avait entre amuser le roi ou l’ennuyer ! Pour une femme, tout dépendait de quel côté elle était : c’était une question de vie ou de mort.
L’ambassadeur d’Italie et la marquise Potini s’avancèrent vers le roi, qui les accueillit par un pas en avant et une main tendue. Lady Roehampton se retira discrètement, quelque peu soulagée de cette intervention, mais l’étiquette lui interdisait de s’éloigner tout à fait ; elle demeura à proximité, chuchotant avec le jeune Ambermere, en attendant que les politesses diplomatiques fussent échangées et qu’on l’appelât de nouveau ou qu’on lui signifiât son congé. Mais la marquise Potini ne semblait nullement disposée à renoncer au roi.
Lady Roehampton remarqua bientôt, sous la parfaite civilité du roi, des signes d’irritation ; il n’étaitpas précisément distrait, mais il commençait à jouer avec son bracelet d’argent… Il ne restait plus à Sylvia qu’à éloigner discrètement les Potini. Ils s’installèrent tous les trois sur un canapé et Sébastien arriva, salua l’ambassadrice et pria lady Roehampton de lui accorder une danse. À travers son apparente gravité, ses yeux étincelaient. La marquise, loin d’être insensible au charme des beaux jeunes gens (et Sébastien était très beau dans son uniforme bleu et or à col écarlate), lui donna un léger coup d’éventail.
— Voici notre vaurien, fit-elle. Quel nouveau scandale allons-nous apprendre ? Allez-vous encore risquer votre vie ou briser un cœur ?
Sébastien n’aimait pas ce genre de plaisanteries ; elles étaient ennuyeuses et l’embarrassaient. Il sourit poliment et Sylvia dit :
— Il faut qu’il se marie, n’est-ce pas, marquise ? Je lui répète toujours qu’il le faut, ne serait-ce que pour ennuyer ses héritiers. Il a un vieil oncle dont la vie est empoisonnée, parce qu’il se demande s’il héritera de Chevron. Ses cousins y pensent encore plus parce qu’ils sont jeunes et en profiteraient davantage. S’il se mariait, et s’il avait un fils, tous ces gens-là pourraient dire adieu à leurs espoirs et penser à autre chose. Il faut trouver une fiancée, dit-elle à Sébastien, en le regardant avec ce mélange de malice et de tendresse moqueuse qui n’existe qu’entre amants gênés et stimulés en même temps par des présences étrangères.
— Une fiancée, murmura la marquise, de cet air ému qu’ont beaucoup de gens qui regardent les fiancés photographiés dans les journaux et qui signifie : « Il n’est pas assez bien pour elle ! », ou : « Qu’est-ce qui apu pousser un si beau garçon à choisir une femme aussi affreuse ? » Une fiancée ! Et où trouverez-vous une fiancée pour le duc, chère lady Roehampton ? Pourquoi donc voulez-vous le marier ? Non, il faut qu’il attende… Sa fiancée est encore en train d’apprendre ses leçons : une petite fille avec des nattes… Voyons, parmi nos jeunes filles, laquelle voudriez-vous qu’il épousât ?
— Mais je voudrais qu’il épousât ma fille ! s’écria gaiement lady Roehampton ; seulement, il est trop entêté : il ne veut pas se laisser prendre. Sa mère et moi en sommes désespérées. Nous sommes de si vieilles amies et nous aimerions tant partager nos petits-enfants ! Mais croyez-vous que ce jeune homme nous écoute ? Ah non ! Il me regarde comme si j’étais une de ces mères pleines de ruses. Voilà comment on est récompensé.
Elle sourit à Sébastien et surprit, dans son regard, quelque chose qui l’emplit d’un doux frisson. Elle ne demandait rien de plus à la vie que ce qu’elle en obtenait en cet instant précis. Tout ce luxe, cette coquetterie, cette passion, et elle oublia cette obsédante pensée : Si seulement j’étais plus jeune !…
Oui, elle était parfaitement heureuse… Tout à l’heure, elle allait dire à Sébastien qu’elle serait seule, cette nuit. Pas de George, pas de Margaret… Mais elle ne le lui dirait pas tout de suite… Elle allait le laisser dans le doute quelque temps encore. Elle voulait prolonger ces moments délicieux où il la chercherait et où elle le fuirait. Aussi suivit-elle le vieux lord Wensleydale qui tournait autour d’elle en larmoyant, et, pendant plus d’une
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