Au temps du roi Edouard
peu de grâce que possible (ce qui, en vérité, était fort peu), mais, enfin, elle le fit. Elle emmènerait Margaret aupalais ce soir même, avec Agathe. Elle se chargerait de Margaret pendant huit jours. Sylvia la récompensa en lâchant immédiatement sa main. Elle se prodigua en remerciements et en démonstrations de toutes sortes…
Et maintenant, il fallait qu’elle s’en allât ! Elle espérait que ce départ ne paraîtrait pas trop précipité, mais, maintenant qu’elle avait gagné la bataille, elle ne pouvait plus supporter la compagnie de ces vieux grenadiers ; elle renverrait la voiture avec les affaires de Margaret et sa femme de chambre.
— Chère, chère Clemmie, que vous êtes bonne ! s’écria-t-elle.
Et elle étreignit une fois de plus ce corps décharné, prenant lady Wexford et lady Porteviot à témoin de la bonté de Clemmie. Puis, baissant sa voilette, rassemblant ses affaires, ses gants, son boa, son manteau, elle se précipita vers la porte, distribuant à chacune un sourire épanoui.
— Maintenant, songea-t-elle en descendant les marches d’un pas léger, qu’elles racontent ce qu’elles veulent ! J’ai donné à ces vieilles commères de quoi parler pendant huit jours…
Et, regardant sa montre, elle vit qu’elle ne serait pas plus d’une heure en retard au rendez-vous de son coiffeur.
* * *
En sortant du vestiaire, à Buckingham Palace, Sylvia pensa qu’elle était jolie. Seule, dans l’antichambre,hormis les hallebardiers qui ne la troublaient pas plus que des meubles, elle se regardait dans le miroir, sans souci des hommes qui l’observaient, car les hallebardiers n’étaient pas des hommes, mais des statues plantées çà et là à intervalles réguliers. Elle s’attarda devant son image, regarda sa robe de satin changeant qui se déroulait jusqu’à ses pieds, ses perles qui s’évanouissaient dans le creux de ses seins et enlaçaient ses poignets, son écharpe rose jetée négligemment sur ses épaules. Elle ne portait pas de diadème. Le fait que lady Roehampton ne portait pas de diadème aux bals de la cour faisait dire aux autres femmes, avec un sourire moitié désapprobateur, moitié envieux, que lady Roehampton méprisait les usages. Une telle audace allait jusqu’à l’insolence. Mais « l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem » retenait son écharpe rose. Satisfaite, Sylvia sourit à son image. Le sourire de lady Roehampton était célèbre ; ses lèvres se séparaient lentement, comme à regret, avec une extrême douceur, et lorsque ce sourire s’évanouissait, ceux qui l’avaient vu disaient qu’il s’éteignait comme l’accord final d’une symphonie. Des poètes l’avaient chanté ; Browning, qu’elle avait rencontré un jour à l’Opéra, avait écrit au dos de son programme un gracieux compliment qui commençait ainsi : « Lorsque Sylvia sourit... » Lorsque Sylvia souriait, il était difficile de croire qu’elle était un ange descendu du Ciel. Tout un monde de volupté était enfermé dans la courbe divine de ses lèvres entrouvertes ; pas d’humour, mais une indéfinissable caresse. En somme, Sylvia connaissait bien son métier de femme, et quand on la voyait, ainsi épanouie, chacun pensait, non sans envie, à Sébastien,car elle appartenait à ces femmes dont la présence fait penser immédiatement à leur amant. La conserverait-il ? Le conserverait-elle ? Lui était-elle fidèle ? Telles étaient les questions que tous se posaient, non seulement quand on les voyait ensemble, mais aussi quand on la voyait seule.
* * *
Sylvia avançait sans hâte à travers le vestibule, apparemment indifférente à ce qui l’entourait, droite comme l’Égyptienne qui porte un fardeau sur sa tête, mais avec la majesté d’une femme dont le seul fardeau est une couronne. Au seuil de cette salle royale où l’attendaient toute l’aristocratie de Londres et la gloire de l’Empire, elle avait la même aisance que chez elle. Une famille de province qui débouchait dans l’antichambre au moment même murmura son nom avec un frisson d’excitation. Père, mère, fille venaient de se transporter dans leur maison de Belgrave Square pour y passer la saison. On l’avait annoncé dans le Times , oubliant d’ajouter que lord et lady O… se sacrifiaient à ce qu’ils considéraient comme leur devoir envers leur fille. Appartenant à une haute et respectable lignée, ils avaient depuis longtemps redouté le jour où il faudrait se
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