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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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Viola était un vrai cheval sauvage. Elle avait beaucoup changé pendant ces derniers mois ; elle se laissait bien conduire dans le monde comme toutes les jeunes filles de son âge et de son rang, mais elle donnait aux gens l’impression désagréable de se soumettre à quelque chose qu’elle méprisait. Aussi n’avait-elle aucun succès malgré sa beauté. De plus, on la disait intelligente, et c’est là un sérieux désavantage pour une jeune fille ; « bien que je n’aie jamais pu voir en quoi elle est si extraordinaire, déclarait Mme Cheyne, car elle ne dit jamais un mot ». Margaret alla consulter Viola comme elleserait allée consulter une sorcière, et, accompagnée de sa femme de chambre, elle se rendit à Grosvenor Square.
    Viola était chez elle. Elle fit monter Margaret dans sa chambre, la fit asseoir, et lui demanda brutalement ce qu’il y avait. Margaret s’embarqua dans un flot d’explications naïves et confuses. Comme beaucoup de jeunes filles de sa génération, elle avait toujours été habituée à croire ce que les grandes personnes lui disaient, et ne s’était jamais permis de discuter librement avec elles. Si agréable et indulgente que fût sa mère, elle ne s’était jamais inquiétée de ce que pensait Margaret, trouvant tout naturel de la traîner dans son sillage, docile, modeste et accommodante. Malheureusement pour elle, Margaret aussi trouvait cela naturel et s’estimait heureuse d’avoir une mère gaie, charmante, plus jeune que les jeunes, qui plaisantait toujours et ne grondait jamais. Mais à présent, elle s’étonnait de voir comment Viola, après l’avoir écoutée avec patience, s’emparait de sa pauvre petite histoire, la grossissait, jonglait avec elle, l’érigeait en symbole, la faisait sienne : en réalité, elle était consternée de voir ses ennuis devenir la proie d’un esprit aussi énergique.
    — Qu’est-ce que nos mères ont pensé de nous, pendant toutes ces années ? disait Viola : que nous ferions un beau mariage, pour qu’elles puissent croire qu’elles avaient fait leur devoir vis-à-vis de nous, et se débarrasser de leur responsabilité d’une façon flatteuse ?… Une fille qui a réussi et un gendre avantageux ! Elles n’ont jamais envisagé, par exemple, que nous pourrions consulter nos goûts, ou nos sentiments. Elles vont comme les trains, sur leurs rails, etsi vous vous sauviez avec votre peintre, ce serait une véritable catastrophe de chemin de fer !
    — C’est pourquoi, dit Margaret, toute désemparée, on ne peut pas le faire.
    — Au contraire, personne ne sera tué, seulement un peu secoué. Ne voyez-vous pas que leurs trains sont en carton, faits de préjugés et de conventions, ornés d’oripeaux clinquants et décorés de noms pompeux ? Il n’y a rien de vrai en elles.
    — Oh ! fit Margaret, indignée, elles nous aiment ! Cela, c’est vrai.
    — Elles nous aiment ? Oui, elles nous aiment, mais elles nous sacrifient. Il faut dire qu’elles se sacrifient aussi, ajouta Viola, pensive… Aucun de nos parents n’hésiterait à briser son cœur s’il y avait conflit entre sa passion et ses principes. Vraiment, c’est magnifique. Ce sont des martyrs, splendides et absurdes. Mais martyrs de quelle foi ?
    Margaret ouvrit de grands yeux, complètement ahurie.
    — Viola ! Mais que voulez-vous dire ? Il faut bien avoir des principes. Respecter son… Eh bien, son rang ? Maman m’a toujours élevée dans cette idée, et je suis sûre que votre mère l’a fait aussi. On m’en a toujours rebattu les oreilles. C’est pourquoi je suis si malheureuse aujourd’hui. Voyez-vous, on a trouvé Adrien dans un paquet. On ne sait rien de ses parents, et naturellement cela ne plaît ni à papa ni à maman. Je les comprends. Pour moi, c’est différent, puisque je l’aime ; mais cela ne compte pas, sans doute… Tante Clemmie dit que l’on n’est pas venu sur cette terre pour son plaisir…
    — Votre mère le dit-elle aussi ?
    — Je suis persuadée qu’elle doit le dire. Maman sait bien qu’on a des devoirs. Elle a présidé deux ventes de charité la semaine dernière.
    — Et on l’a photographiée et on lui a donné une gerbe d’orchidées ?
    — Non, c’étaient des roses… Mais, Viola, vous vous moquez de moi ! Vous me faites peur. C’est comme si je parlais à un socialiste ! s’écria la pauvre Margaret.
    — Vous avez déjà parlé à un socialiste ?
    — Non, bien sûr que

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