Au temps du roi Edouard
non. Mais je crois que ce serait la même chose. Ce sont des gens terribles, et qui veulent tout bouleverser ! Tante Clemmie me l’a expliqué. Tout ce que nous croyons serait jeté par-dessus bord. Toutes les convenances, les principes… Oh ! Viola, je fais tout ce que je peux pour garder mon sang-froid, mais entre Adrien, papa, maman, et maintenant, vous, je crois que je vais perdre la tête ! Adrien prétend que l’amour est la seule chose qui compte ; papa et maman disent que « la dignité » est la seule chose qui compte ; Dieu sait ce que vous dites !… Vous parlez de trains en carton, et je ne sais plus où j’en suis. Que dirait Sébastien ?
— Sébastien ? (Viola tressaillit sous le choc. Elle se tut un instant…) Laissez Sébastien tranquille. Il ne se connaît même pas lui-même. Jusqu’ici, il a fait tout ce qui lui plaisait et il ne sait pas pourquoi il est malheureux. Il ne parle jamais. Je crois qu’il ne parle à personne. Il se contente de vivre et essaye de ne pas penser. Si Sébastien réfléchissait, il reviendrait à Chevron.
Viola aurait pu dire encore beaucoup de choses sur Sébastien, mais elle éprouvait quelque répugnance à parler de lui devant la fille de lady Roehampton (contrairement à la naïve Margaret, elle n’ignorait pas leur liaison). Elle changea de conversation, mais son ressentiment était si amer qu’elle ajouta :
— Au moins, rendons à nos parents cette justice qu’ils n’exigent de nous que ce qu’ils exigeraient d’eux-mêmes. Votre mère, par exemple, renoncerait à tout plutôt que de provoquer un scandale… La mienne aussi, ajouta-t-elle vivement, ne voulant pas faire de personnalités.
Mais il était trop tard et Margaret releva l’allusion.
— Ma mère, Viola ? Un scandale ? Mais à qui renoncerait-elle ? Il n’y a jamais eu de scandale autour d’elle. Vous n’imaginez pas à quel point elle est gentille avec papa, bien que leurs goûts soient complètement différents… Avouez qu’il y a très peu de scandales chez des gens comme nous. C’est toujours dans le peuple que ces meurtres épouvantables arrivent, ou alors, à Naples !…
— Margaret ! vous êtes vraiment délicieuse ! Je ne voulais rien dire contre votre mère, et je trouve que la manière dont elle vous a élevée lui fait le plus grand honneur. Là ! êtes-vous contente ?
Mais Margaret tint bon :
— Vous vouliez dire quelque chose, Viola ; peut-être pas à propos de maman, mais est-ce que les gens – ceux que nous connaissons – font quelquefois des choses qu’ils ne devraient pas faire ? Des vilaines choses ? Les pires ? Viola, dites-le-moi. Je n’avaisjamais songé à cela, mais maintenant je commence à croire que bien des choses se passent sans que je les remarque…
Viola regarda ce visage enfantin et troublé. Elle aurait voulu dire à Margaret : « Très bien, si vous voulez la vérité, la voilà. La société dans laquelle vous vivez est faite de gens à la fois dissolus et prudents. Ils veulent s’amuser sans renoncer à leur situation. Ils ont un certain vernis, mais au fond, ils ne comprennent que ceci : qu’ils ont besoin d’argent, qu’ils doivent se montrer dans certains endroits, avec certaines gens. Bien qu’ils tendent à n’être que des fantoches, il y a encore chez eux un coin d’humanité et ils s’accordent quelques histoires d’amour artificielles ou, parfois, trop vraies. Quoi qu’il arrive, il faut d’abord penser à ce que dira le monde, et cette hypocrisie fait des êtres vils et médiocres. De plus ils sont envieux, malveillants et vénaux, froids et arrogants. Quant à nous, leurs enfants, ils nous laissent dans une ignorance complète de la vie, nous inculquant seulement les idées auxquelles nous devons nous soumettre, et ils nous traitent avec une sauvage cruauté si nous manquons de nous y conformer. »
Mais Viola garda pour elle ce réquisitoire, songeant que Margaret serait une épouse parfaite pour Tony Wexford. Adrien n’était qu’un caprice, et Viola, de plus, soupçonnait certains peintres de vouloir améliorer leur position sociale ; elle ne pouvait croire, en effet, qu’un jeune bohème aussi séduisant qu’Adrien fût tombé amoureux de Margaret (elle avait caché à Margaret qu’elle l’avait vu au Café Royal, endroitqu’elle fréquentait dans le plus strict incognito). Non, vraiment, ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre.
Aussi tenta-t-elle de
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