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Au temps du roi Edouard

Au temps du roi Edouard

Titel: Au temps du roi Edouard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sackville-West
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terreur muette ; la violence était une chose qu’elle n’avait jamais connue. Cette chambre luxueuse, ce lit moelleux, ce couvre-pieds de satin, tout démentait une pareille attitude. En un monde oùles manières seules importaient, à quoi pouvait-on se raccrocher, si les manières étaient jetées par-dessus bord ? Si les hommes commençaient à traiter leurs femmes en femmes et non en « ladies » ? George lui-même en fut épouvanté. Il resta un instant penché sur elle, tremblant de colère et effrayé par son désir de tuer ; enfin, son éducation prit le dessus.
    — Voilà ce que vous faites de moi, dit-il, voilà ce que je suis devenu : une bête sauvage ! Mais je ne m’excuserai pas ! C’est probablement la première fois que nous avons été sincères… Jusqu’ici, nous avons toujours vécu d’apparences et ne savions rien l’un de l’autre ; vous étiez assez gentille avec moi, mais Dieu sait que je n’étais pas difficile à contenter !… Allons, ne pleurez pas, ajouta-t-il brutalement, car Sylvia s’était effondrée et sanglotait dans ses oreillers ; je ne retirerai pas un mot de ce que j’ai dit, en dépit de toutes vos larmes… Vous pouvez m’être reconnaissante de vous épargner… Oh ! ce n’est pas pour vous, ni même pour moi, que je le fais. Vous connaissez mes raisons. Il y a Margaret, il faut sauver les apparences, nous le devons à notre enfant.
    Il s’arrêta. Jusqu’ici, sa colère l’avait soutenu, mais, maintenant, il était à bout d’arguments.
    — Que dirait Clemmie si elle savait ! dit-il, lamentable et ridicule.
    Il regarda sa montre.
    — Sylvia, je pars. Essayez de vous ressaisir. Que Sheldon ne voie pas que vous avez pleuré. Sylvia ! appela-t-il, en lui touchant l’épaule.
    Il n’y eut pas de réponse, mais un vague murmure.
    — Je compte que vous serez prête à quitter Londres à la fin de la semaine. M’entendez-vous ?
    — Je vous entends, répondit Sylvia.
    * * *
    George parti, elle arpenta la chambre, se frappant le front de ses poings ; elle regarda sa coiffeuse, souhaitant que ses brosses fussent de bois et non d’argent et qu’elle fût elle-même d’une humble famille pour pouvoir s’enfuir avec son amant, sans que le gong du scandale retentît à travers les salons de la haute société. Elle s’arrêta même pour prendre son miroir et le regarda comme on regarde, dans les moments de préoccupation intense, un objet indifférent ; c’était une glace octogonale de style Queen Anne, ornée de pagodes chinoises ; elle la jeta par terre pour la briser, mais l’épaisseur du tapis l’en empêcha. Machinalement, elle se pencha pour ramasser l’objet et fut plus peinée de le voir intact qu’une femme, aussi superstitieuse qu’elle, l’eût été en voyant les éclats joncher le sol. La glace, le tapis étaient solidaires d’une vie à laquelle elle ne pouvait échapper. Cette solidité eut raison d’elle. Elle s’effondra sur son lit et plongea sa tête entre ses mains.
    — C’est la fin, songea-t-elle, se balançant doucement d’avant en arrière.
    La fin de ce jeu délicieux, affolant, dans lequel elle avait mis toute sa passion, et plus que sa passion, son dernier défi aux années envahissantes. Elle avait adoré Sébastien, et, maintenant, elle n’aurait plusd’amant. Au moment où George l’avait quittée, elle ne savait pas au juste si elle pleurait Sébastien ou sa jeunesse perdue, car, pour la première fois, elle songeait aux années où elle ne serait plus que la femme de lord Roehampton, à Norfolk, et à l’arbre de Noël. Mais, maintenant que son corps se balançait doucement et qu’elle tenait les poings serrés contre son visage, tout disparut devant ceci, qu’elle avait à jamais perdu Sébastien.
    Elle ramassa les lettres et les regarda, mais les abandonna aussitôt, car certains mots lui rappelaient d’une façon précise les jours merveilleux de l’année passée. Elle se demanda quel était l’auteur de ce désastre, quelle femme jalouse ou envieuse avait fracturé son bureau, peut-être, ou soudoyé un domestique pour avoir l’empreinte de ses clefs. Elle connaissait tous les scandales, celui des Templecombe et de bien d’autres, et elle savait que, comme eux, elle sacrifierait son amour à son rang. Toutes les classes, d’ailleurs, n’étaient-elles pas victimes de certaines contraintes ? Cherchant à dissoudre le rocher de désespoir qui, en l’espace d’une

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