Au temps du roi Edouard
réparer le mal et Margaret partit, désespérée, ayant l’impression que Viola l’avait abandonnée au dernier moment. On ne pouvait plus compter sur personne : Viola avait commencé par critiquer ses parents (et en quels termes, grands dieux !) et elle avait fini par leur donner raison ! En qui la pauvre Margaret pouvait-elle avoir confiance, maintenant ?… La gaieté de sa mère sonnait faux à ses oreilles, et elle se surprit à analyser au lieu d’accepter chaque chose avec une admiration toute neuve.
Léonard Anquetil eût été bien surpris de voir comment le levain jeté dans l’âme de Viola agissait maintenant sur la pauvre jeune fille qu’il avait aperçue à Chevron, mais à qui il n’avait pas adressé la parole. Il l’apprit six mois plus tard, car, après le départ de Margaret, Viola commença sa lettre hebdomadaire, et celle-ci rejoignit Anquetil à Manáos et le combla d’aise.
* * *
Lord Roehampton se présenta chez Sylvia exactement huit jours après qu’il eut reçu les lettres. Il avait reçu le paquet à trois heures de l’après-midi et, à trois heures, il frappait à la porte de la chambre. Le train qu’il devait prendre pour aller à Newmarket partait à quatre heures un quart. Sylvia était assise devant son miroir et se préparait à sortir. Elle était pleine de gratitude et de bons sentiments envers George, surtoutparce qu’elle l’avait persuadé de ne pas manquer son rendez-vous de Newmarket au lieu de l’accompagner à l’Opéra, et aussi parce que Margaret, fiancée officiellement à Tony Wexford, était pour quelques jours en visite chez sa tante Ernestine. George lui avait été d’un grand secours dans toute cette histoire et elle lui sourit dans la glace. Elle était en train de mettre son chapeau et sa femme de chambre lui tendait les épingles, avec des mines angoissées et de petites exclamations qui, en un jour moins favorable, eussent agacé Sylvia, mais qu’elle acceptait aujourd’hui sans y faire attention, parce qu’elle se sentait libre et qu’elle était heureuse de vivre. Pas de George, pas de Margaret !… Comme elle les aimait, maintenant qu’elle en était débarrassée ! Cher George ! Un brave homme, tout de même, bien que ses cols fussent toujours trop hauts et son chapeau trop petit.
— Cher George ! dit-elle à haute voix.
— Vous pouvez vous retirer, Sheldon, dit George à la femme de chambre. Madame sonnera quand elle aura besoin de vous.
Sylvia se retourna et le regarda avec étonnement : lui, toujours si doux, n’avait jamais agi avec tant de désinvolture.
— Vous renvoyez ma femme de chambre, George ? Mais je suis sur le point de sortir. Ne partez-vous pas vous-même ? Qu’y a-t-il donc ?
Elle vit alors qu’il avait l’air bizarre ; il avait bien changé ses vêtements de ville pour un costume de tweed, mais son visage était congestionné et il portait continuellement la main à sa cravate. L’autre main était dans la poche de son veston, jouant avec quelquechose qui s’y trouvait, le sortant à demi, puis, réflexion faite, le remettant en place. Il semblait que l’ordre qu’il venait de donner à la femme de chambre eût vidé le réservoir de ses résolutions et qu’il attendait qu’il se remplît de nouveau pour continuer de parler. Pendant ce temps, il fixait sur Sylvia un regard sévère et avalait sa salive, de sorte que sa pomme d’Adam heurtait sans cesse son col et le fit tousser deux ou trois fois, ce qui parut l’ennuyer énormément, comme s’il avait senti qu’il était ridicule. Sylvia eut une idée absurde :
— Il va être malade.
Puis elle pensa : Il a de mauvaises nouvelles à m’apprendre.
Et elle songea à Margaret, car elle croyait que George n’hésiterait pas comme cela s’il était arrivé quelque chose à Sébastien. Il dirait brutalement :
— Je viens d’apprendre que Sébastien s’est blessé en jouant au polo.
Aussi, elle rejeta cette crainte aussitôt conçue, et elle sentit en même temps son corps se glacer comme s’il s’était vidé tout à coup de son sang, si grande avait été sa frayeur et si profonde sa joie de la sentir vaine.
— George ? dit-elle.
Et, allant à lui, elle le saisit par le revers de sa veste.
— Il s’agit de cela, dit-il en reculant et en jetant le paquet de lettres sur la coiffeuse.
D’un seul regard, Sylvia comprit.
— Depuis combien de temps les avez-vous ?
— Une semaine.
— Une semaine ?
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